lundi 13 mai 2013

Low cost : LE nouveau modèle


Business A qui le tour ? Après le transport aérien, la grande distribution et la téléphonie mobile, le low cost gagne tous les secteurs et oblige les acteurs installés à se réinventer. Une révolution à laquelle personne ne pourra échapper.

Prendre l’avion avec Hop, la filiale d’Air France, à partir de 55 euros ; le train avec le Ouigo de la SNCF pour 10 euros ou louer une voiture chez InterRent, nouveau bébé d’Europcar, pour 20 euros par jour... Ces dernières semaines, tous les transporteurs semblent s’être entendus pour faire voyager à prix cassés! Après avoir nié la menace des concurrents low cost puis vainement tenté de les dénigrer aux yeux d’un consommateur que la crise pousse à «acheter malin », les acteurs traditionnels ont fini par prendre la mesure de cette révolution.
Contrairement aux soldes ou aux sites de déstockage, le low cost n’est pas seulement synonyme de prix bas. Il repose sur un modèle alternatif et innovant, fondé sur quelques caractéristiques désormais bien connues des professeurs de stratégie et des consultants: standardisation des produits, transfert des coûts au client, utilisation intensive dumatériel, relation optimisée avec les fournisseurs, etc. Des conditions nécessaires pour pouvoir proposer à un large public une offre simple, dépouillée du superflu, mais de grande qualité pour ce qui touche à l’essentiel. Etre transporté d’un aéroport à un autre à l’heure et en toute sécurité, par exemple. Si l’aérien est, à ce jour, le secteur le plus touché, ce nouveau modèle gagne un peu l’industrie (automobile, pharmacie) mais surtout les services. On peut se faire soigner les dents, couper les cheveux ou même inhumer low cost! La banque, la santé ou les services aux entreprises ne sont plus protégés que par des régulations plus ou moins désuètes oude vieux réflexes psychologiques du consommateur... Pour combien de temps encore?


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sept secteurs en effervescence


Le salon de coiffure Beauty Bubble, ici dans un hypermarché Carrefour. Tout ce qui est accessoire a été rasé.
Optique, coiffure, soins dentaires, centres de fitness, contrôle technique, pompes funèbres, déménagement: autant d’activités défrichées par une deuxième génération de «low-costeurs». Comment ils réinventent les process... et cassent les prix.

C’est reparti de plus belle. Alors que les pionniers du low cost poursuivent, pour la plupart, leur insolente croissance, une nouvelle génération de casseurs de prix débarque, bousculant le train-train des acteurs en place. Pompes funèbres, opticiens, agents immobiliers, cabinets dentaires, centres de contrôle technique, coiffeurs, déménageurs, centres de fitness... Aucun secteur ne semble à l’abri de ces nouveaux entrants, souvent perçus comme des «barbares». Aujourd’hui, le consommateur arbitre de plus en plus en faveur du prix. De quoi susciter des vocations. Pour autant, ces champions des bas coûts ne fleurissent pas auhasard desmarchés. Ils apparaissent sur des terrains propices, là où il y a des rentes à casser: secteurs captifs, réglementés, ou «qui font preuve d’inefficience», souligne Stéphane Potier, consultant chez Roland Berger.

«Lorsque nous sommes entrés sur le marché des agences immobilières, celui-ci était dominé par des très petites entreprises au faible chiffre d’affaires, incapables de se différencier entre elles», souligne Christophe du Pontavice, fondateur d’Efficity. Ce prestataire en ligne a été le premier à briser l’omerta sur les commissions trop élevées (6% en moyenne). Chez lui, elles sont comprises entre 1 et 2,5% selon la formule. Dans d’autres secteurs comme celui de la coiffure, le manque de compétitivité a été compensé par des dérapages tarifaires.«Enquatre ans, les prix moyens ont augmenté de 30%», indique Nicolas Langer, fondateur de Beauty Bubble. Une aubaine pour ce réseau naissant de coiffeurs express qui propose la coupe à partir de 10 euros.

L’optique, elle, fait partie desmarchés quasi «captifs». Longtemps, la bonne couverture des frais par les mutuelles n’a pas incité le consommateur à faire jouer la concurrence. Et les professionnels en ont profité. «Un opticien avec pignon sur rue réalise une marge qui peut aller jusqu’à dix fois son tarif d’achat sur le prix des verres», dénonce Marc Adamowicz, fondateur du lunetier en ligne Happyview. Lui se contente de «fois deux». Dans un autre domaine, le contexte d’un décès ne pousse pas les proches à négocier le prix des obsèques, qui se monte en moyenne à 3300 euros. Il n’y a pourtant pas de justification absolue aux prix élevés. «Nous avons réussiàmonter une prestation complète à partir de 1250 euros», explique Philippe Martineau, fondateur d’Ecoplus Funéraire.

La rente, enfin, peut découler d’une disposition réglementaire. «La Sécurité sociale n’a pas augmenté ses tarifs de remboursement sur les actes dentaires de base (carie, dévitalisation, détartrage...) depuis des années. Mais les praticiens se rattrapent sur le prix des prothèses qui ont été libéralisés et ont donc subi une forte inflation », note Pascal Steichen, fondateur des centres Dentexia qui facturent la couronne 390 euros, contre jusqu’à 900 euros dans un cabinet libéral.

Anouvelle offre, nouveAu mArché Avec leurs offres à bas prix, ces entreprises ciblent en priorité une population qui s’est paupérisée ces dernières années et qui, dans certains cas, n’a plus lesmoyens d’accéder au produit ou au service. «Trois millions de Français n’ont pas les ressources suffisantes pour s’équiper de lunettes de vue adaptées», rappelle Marc Adamowicz. Même situation dans le dentaire, où les renoncements aux soins sont de plus en plus nombreux. Ou encore dans le funéraire. «Nous savons que près de 13% de la population éprouvent beaucoup de difficulté à inhumer avec dignité leurs proches», regrette Philippe Martineau.

Ces nouvelles offres créent donc en partie leur propre marché. Mais la stagnation du pouvoir d’achat n’est pas leur unique terreau. «50% des vendeurs d’un bien immobilier préfèrent se débrouiller seuls, car ils considèrent la commission d’agence trop lourde. Nous les récupérons avec nos tarifs beaucoup plus accessibles», observe Christophe du Pontavice. Ces offres commencent également à mordre sur la clientèle habituelle des acteurs installés. «A Nice, 40%de nos clients nous ont contactés via Internet ; ils auraient sans doute pu se payer les services d’un prestataire classique », analyse Philippe Martineau.

LES PIONNIERS Chez Southwest Airlines, la ponctualité rend fidèle

Lancé au Texas en 1971, Southwest, pionnier du low cost aérien, a en 2011 fêté sa quarantième année consécutive de bénéfices. La ponctualité du premier transporteur américain pour les vols intérieurs et les petits avantages qu’il offre par rapport aux concurrents (deux sacs gratuits, pas de pénalité pour changer un vol) fidélisent la clientèle traditionnelle. Des nouveautés – embarquement prioritaire et réseau sans fil payants à bord – attirent les hommes d’affaires, aussi séduits par le programme de fidélité.

Pour obtenir ces tarifs imbattables, cette nouvelle génération d’entreprises low cost s’est largement inspirée des recettes de ses aînées de l’aérien ou du harddiscount. La première et la plus fondamentale est bien connue: la simplification de l’offre. Ecoplus Funéraire ne propose que trois modèles de cercueils en pin, contre jusqu’à dix-sept dans une agence de pompes funèbres classique. De même, Happyview n’offre qu’un seul modèle de verres progressifs de quatrième génération. L’enseigne de fitness Curves, née au Texas et qui possède déjà 130 centres en France, mise sur des espaces réduits qui ne peuvent accueillir plus de 20 personnes simultanément. Le client n’a à sa disposition qu’une dizaine de machines qu’il doit utiliser de manière séquentielle dans un circuit soigneusement conçu pour durer trente minutes chrono. Un seul coach suffit pour superviser la session. Les équipements sont basiques et ne nécessitent pas de frais de maintenance ni de programmation individuelle. Pionnier dans la coiffure, le japonais QBHouse (Quick Beauty) ne prend pas de rendez-vous et réalise les coupes à sec. Ni shampoing ni brushing ni coloration. Les rituels des salons traditionnels (serviettes chaudes, massages...) ont été abandonnés. Un modèle largement repris par le français Beauty Bubble. «Nous avons enlevé tout ce qui était accessoire », confirme Nicolas Langer.

loyers économisés L’enseigne française a appliqué une autre règle du low cost : casser les codes de l’emplacement, réduire les frais logistiques. Les salons ont été remplacés par des «bulles» de 10 à 15 m2 installées dans des lieux de flux comme les gares, les stations de métro ou les centres commerciaux. Ce qui permet d’aller à la rencontre des clients, tout en faisant des économies de loyers. Même objectif, mais stratégie différente chez CTeasy. Cette enseigne de contrôle technique évite les emplacements sur les axes de fort passage, prisés mais plus chers. «Nous avons fait le pari que nos tarifs seraient suffisamment incitatifs pour pousser les clients à faire 10 km de plus », explique son fondateur Arnaud Lorente. La baisse des coûts logistiques est aussi au centre du modèle d’Ecoplus Funéraire.

LES PIONNIERS Lidl délaisse le hard-discount pour le «middle cost»

Aujourd’hui, Lidl n’est plus une enseigne hard-discount. C’est Friedrich Fuchs, son patron pour la France, qui l’a annoncé en octobre 2012. Le distributeur, qui possède 1600 magasins dans l’Hexagone, a été l’un des premiers à amender son modèle en référençant des marques nationales. Une évolution vers le «middle cost» accélérée par le développement récent des rayons boulangerie avec terminaux de cuisson in situ.

Ce « low-costeur » affiche une particularité par rapport à ses confrères casseurs de prix. Il a en effet été créé par le groupement de prestataires classiques Le Choix funéraire, numéro 2 du secteur après PFG. Au risque de cannibaliser sa clientèle? «Nos adhérents sont plutôt installés en périphérie, alors que cette nouvelle marque fille a vocation à s’implanter en ville », précise Philippe Martineau. Développée par les affiliés du Choix Funéraire, l’enseigne low cost profite ainsi du personnel de la maison mère dans ses plages de disponibilité. L’entrepreneur y gagne sur tous les tableaux.

productivité augmentée L’utilisation du potentiel d’Internet fait également partie des leviers utilisés par ces entreprises pour réduire leurs coûts. CTeasy a remplacé la secrétaire par un logiciel de réservation sur la Toile, qui prend le rendez-vous et envoie un SMS de rappel la veille. Pour réduire ses frais de prospection, Efficity a investi 6 millions d’euros dans un logiciel d’estimation de biens capable, dans certaines villes, de donner une réponse immeuble par immeuble. «Grâce à ce service, nous engrangeons plus de 80000 inscriptions d’internautes par mois, dont plus de la moitié a un appartement à vendre », se félicite Christophe du Pontavice. Enfin, Internet facilite également la mise en place d’un autre grand standard du modèle low cost: la délégation d’une partie de la prestation au consommateur lui-même. «Nous autonomisons le client, en l’obligeant à aller sur notre site pour essayer et choisir sa monture», confirme Marc Adamowicz. L’incitation à faire soi-même est parfois clairement mise en avant. Efficity, dont la commission standard est à 2,5%, propose une formule à 1% si le vendeur accepte d’assurer la visite de son bien tout seul. L’agence prend néanmoins en charge le reste de la prestation. Certains acteurs comme Déménagerseul ont fait de cette participation du client le principe de base de leur concept. Installée, via des corners, dans des magasins de bricolage ou des stations-services, l’enseigne ne propose que le matériel nécessaire au déménagement, de la location du camion à l’achat des cartons. De quoi réduire la facture.

Pour compenser la baisse des prix et donc des marges, les low-costeurs sont cependant condamnés à augmenter les volumes. «Notre seuil d’équilibre est nettement plus élevé, reconnaît Arnaud Lorente. Mais nous remplissons nos centres de contrôle technique à 100%.» Avec ses premiers prix à 39 euros pour une monture à verres unifocaux et 89 euros pour celles à verres progressifs, Happyview doit commercialiser 200 lunettes par jour pour atteindre son seuil de rentabilité. Là où un opticien classique fait sa journée...avec trois ventes. Demême, Dentexia réalise en moyenne plusieurs prothèses par patient.

Cette hausse des volumes va de pair avec une augmentation de la productivité et une autre organisation du travail. «Chez nous, chaque dentiste doit faire vingt réhabilitations complètes de bouche par mois», assure Pascal Steichen. Mais à l’inverse d’un cabinet libéral, le praticien salarié d’un centre Dentexia dispose de deux assistantes (dentaire et administrative), qui lui permettent de ne se consacrer qu’à des actes chirurgicaux. Même approche chez Efficity:«Nous avons créé un plateau téléphonique de relation client, ce qui permet à nos commerciaux d’être à 80%de leur temps sur le terrain», estime Christophe du Pontavice. Ils peuvent ainsi réaliser trois ventes enmoyenne par mois, contre une dans les agences classiques. Chez Happyview, l’écart est encore plus grand: 50 paires de lunettes par jour et par opticien, contre trois dans une officine en dur.

Bien que les offres low cost se fondent sur la simplification de la prestation, elles peuvent aussi offrir un mieux-disant qualitatif sur certains points. «Grâce à nos volumes, nous avons pu embaucher trois juristes qui s’occupent des contrats. En outre, tous nos comnnn merciaux sont formés à laphotographie, ce qui permet de bien mieux mettre en valeur les biens à vendre», souligne Christophe du Pontavice. Paradoxalement, c’est parfois du côté du low-costeur que l’on trouve la plus grande profondeur d’offre.«Nous proposons 1500 montures, soit troisàquatre fois plus que nos confrères en boutique», s’enorgueillit Marc Adamowicz.

LES PIONNIERS Formule 1 a remis des humains à l’accueil

En 1985, Accor lançait les Formule 1 «àmoins de 100 francs la nuit»: des hôtels industrialisés fabriqués en deux mois, en périphérie, accueil et personnel réduits. Les chambres n’ont pas de salle de bains, mais elles sont insonorisées et le matelas est confortable. A 24 euros, le prix d’appel est resté bas. Et le service des 240 F1 de France s’est amélioré: Canal + et wi-fi gratuits, accueil personnalisé dans certaines plages horaires, décoration plus chaleureuse. Les clients sont des professionnels en semaine et des touristes le week-end.

certainsconsommateursrestent méfiants Bien que dopé par un contexte économique très favorable, le modèle low cost n’offre pourtant aucune garantie de succès. Beaucoup, même parmi les plus aguerris, s’y sont cassé les dents. En témoigne les échecs de Stelios Haji-Ioannou, le fondateur d’Easygroup et d’Easyjet, dans la location de voiture ou le cinéma. Dans certains secteurs comme la banque, le low cost incarné par Boursorama a aussi beaucoup de mal à s’imposer. Car baisser les prix n’est pas suffisant. Pour réussir, le low-costeur doit surmonter un certain nombre d’écueils qui diffèrent parfois d’un secteur à l’autre. «Le consommateur arbitre entre l’avantage duprix et la perception du risque qu’il va prendre en optant pour un service low cost, explique Stéphane Potier, deRoland Berger. Pour l’instant, dans la banque directe, le manque de notoriété des marques et l’absence de conseillers ont sans doute été vécus comme trop dissuasifs.» Il en va peut-être de même dans l’optique, où les réticences à s’acheter des lunettes correctrices sur Internet demeurent fortes. De fait,Marc Adamowicz reconnaît ne pas avoir encore atteint le point d’équilibre. Qui plus est, tout le monde n’est pas séduit par le low cost. Acheter des lunettes sans se les faire ajuster, ce n’est pas évident. Se faire couper les cheveux dans une bulle transparente installée au milieu d’une gare non plus! Les low-costeurs ont aussi à faire face à une autre opposition : les tirs de barrage que leur réservent les acteurs en place, via leurs organisations professionnelles. Chacun a son histoire à raconter. «Nous avons fait l’objet de contrôles réguliers de la Direction de la concurrence “sur dénonciation” », témoigne Christophe du Pontavice. Quant à CTeasy, il a essuyé un procès en concurrence déloyale qu’il a gagné. L’activité des opticiens en ligne a bien failli être assimilée à du colportage médical, interdit en France, à la suite d’un projet d’amendement dans la transposition d’une directive européenne. Les attaques visent parfois aussi la qualité de la prestation dans le but – c’est de bonne guerre– d’augmenter la perception du risque chez le consommateur. C’est le cas dans l’optique, mais aussi dans les soins dentaires où les dentistes libéraux dénoncent la course à la rentabilité et les risques de «surtraitement» encourus dans les cabinets du type Dentexia.

Les prochains secteurs dans La Ligne de mire

Services BtoB : acheteurs à l’affût Jusqu’ici concentré dans le BtoC, le low cost gagne le BtoB. Avec la crise, les acheteurs, notamment dans les PME, relativisent le risque de travailler avec de nouveaux fournisseurs s’ils offrent une prestation de qualité à moindre coût. Ils leur délèguent travaux d’impression (Vistaprint, Gutenberg networks), publicité (TVLowCost et ses filiales LowCostMedia et DigiLowCost), recrutement (Managers50), ou même comité d’entreprise (Low Cost CE).

Banque: le levier du numérique Les Boursorama et autres Fortuneo ne représentent que 1,5 million de comptes sur les 72 millions ouverts en France. Les clients de la banque low cost sont surtout des cadres qui, pouvant se passer d’un conseiller, abandonnent la banque traditionnelle (horaires incompatibles, frais jugés abusifs). Aux Etats-Unis, 53% des transactions bancaires se font en ligne et 14% au guichet, selon AlixPartners. La dématérialisation n’est pas le seul fait des acteurs low cost mais le digital est un puissant levier de réduction des coûts.

Santé : dès que saute le verrou législatif La santé est le prochain terrain du low cost dès lors qu’elle ne peut plus se retrancher derrière des réglementations protectrices. Le feu vert donné en février par le Conseil d’Etat à la vente en ligne de 3500 médicaments a suscité une floraison de sites plus ou moins bon marché. Les laboratoires d’analyses pourraient être les prochains touchés. En Inde, les cliniques Aravind opèrent la cataracte pour 26 dollars grâce à la forte productivité des chirurgiens qui pratiquent 2000 opérations par mois.

«Cela n’a pas d’impact sur la fréquentation de nos centres, où beaucoup de clients sont en liste d’attente. En revanche, cette campagne de dénigrement nous gêne dans le recrutement de nos dentistes», reconnaît Pascal Steichen. En dépit de ces difficultés, certains de ces nouveaux acteurs affichent déjà de belles réussites. «L’an dernier, nous avons réalisé une croissance de 80% alors que le marché était en chute de 30%», plastronne Christophe du Pontavice, patron d’Efficity, qui emploie une centaine de personnes. Parti d’Anglet, CTeasy vise 24 centres en propre d’ici trois ans et affiche déjà un bénéfice à deux chiffres. Le premier point de vente d’Ecoplus Funéraire, ouvert en septembre 2011 au Mans, a déjà pris 6% du marché local. L’enseigne, qui comptera 23magasins d’ici la fin de l’année, entend dès l’an prochain vendre son concept en Europe sous forme de licence. Preuve que lorsque tous les ingrédients sont réunis, les offres low cost trouvent rapidement leur place. «On peut imaginer un modèle de ce type dans n’importe quel business de service, notamment s’il n’y a pas d’acteur structuré sur le marché, assure Stéphane Potier. On est loin d’avoir utilisé toutes les ressources du numérique ou de l’offshoring pour faire baisser les coûts.» Low cost... et si on n’avait encore rien vu?

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BON POUR LE CLIENT, PAS POUR L’ÉCONOMIE?

Les chercheurs tentent de mesurer et d’analyser les conséquences de la révolution low cost. Crée-t-elle de la valeur ou en détruit-elle ? En France comme aux Etats-Unis, les économistes n’arrivent pas à conclure par manque de données.

Le low cost est bénéfique pour le consommateur, mais l’est-il pour l’économie dans son ensemble? Le débat reste ouvert, comme l’a rappelé la polémique déclenchée par l’arrivée de Free sur le marché français. Arnaud Montebourg incarne à lui seul toutes les incertitudes. En janvier 2012, alors qu’il était encore dans l’opposition, il estimait dans un tweet que «Xavier Niel avait fait, avec son forfait illimité, plus pour le pouvoir d’achat des Français que Nicolas Sarkozy en cinq ans ». Dix mois plus tard, devenu ministre du Redressement productif, il dénonçait au contraire les effets collatéraux de «la course au low cost» sur «les opérateurs, les sous-traitants, les fournisseurs », en regrettant «l’hémorragie d’emplois, notamment dans les réseaux de boutiques de téléphonie ».

La controverse dépasse le cercle politique et divise les économistes. David Thesmar, professeur à HEC, a déclenché les passions en apportant sa caution macroéconomique à Free dans une étude réalisée avec Augustin Landier... à la demande d’Iliad, la maison mère de Free. Leur conclusion est surprenante: le nouvel opérateur libère du pouvoir d’achat pour des millions de clients, ce qui se traduira par 16000 à 30000 emplois indirects créés dans d’autres secteurs que la téléphonie. David Thesmar évalue à 1,7 milliard d’euros par an l’économie générée par l’offre de Free et surtout les ajustements tarifaires des concurrents. Cette analyse est loin de faire l’unanimité. Les analystes de Natixis ont ainsi descendu en flèche les hypothèses de départ de Thesmar et Landier «qui reflètent une certaine méconnaissance du marché mobile ». Bruno Deffains, professeur à Paris II-Assas et directeur du laboratoire d’Economie du droit, arrive d’ailleurs à une conclusion diamétralement opposée : il estime à plus de 69000 les emplois détruits à la suite de l’arrivée de Free, à la fois chez les opérateurs de mobiles, les «partenaires de premier rang » (distributeurs, fournisseurs) et, indirectement, dans d’autres secteurs de l’économie.

DES ÉTUDES PARTIELLES ET ENCORE TROP LIMITÉES

Les études réalisées à l’étranger ne sont pas plus concluantes. Elles demeurent souvent partielles, cantonnées à un secteur ou un territoire donnés. Dès le début des années 2000, les universitaires américains se sont intéressés au low cost sous l’angle du «Walmart effect » : comment l’essor du premier employeur privé influence toute l’économie du pays.

La chaîne de distribution, née dans l’Arkansas en 1962, compte en effet aujourd’hui plus de 4 000 magasins et emploie 1,4 million de salariés rien qu’aux Etats-Unis. L’Institute of Industrial Relations de l’université de Berkeley, récemment rebaptisé Center for Labor Research and Education, a fait de ce thème sa spécialité. En 2007, son jeune chercheur Arindrajit Dube – passé depuis à l’université du Massachusetts Amherst – a ainsi calculé que la présence de plusieurs Walmart dans un Etat entraînait une réduction des salaires de 10% pour l’ensemble des salariés du commerce et faisait baisser leur couverture médicale de 5%. D’autres universitaires arrivent à des conclusions proches à partir d’études empiriques à Chicago, en Californie, etc.

L’offre mobile de Xavier Niel affole la concurrence et déboussole le ministre ArnaudMontebourg.

EN FRANCE, DAVID THESMAR ET AUGUSTIN LANDIER CRÉENT LA POLÉMIQUE SUR FREE

Tous soulignent le coût pour l’Etat, les employés de Walmart mal couverts médicalement se reportant massivement sur le welfare public gratuit. Dans la dernière étude en date (avril 2011), Ken Jacobs, président du Center for Labor Research de Berkeley, estime encore que les salariés de Walmart gagnent en moyenne 12,4% de moins que les autres travailleurs du commerce. Selon l’institut indépendant Ibis World, le salaire horaire moyen y est en effet de 8,81 dollars, significativement inférieur à des concurrents comme Costco.

nnn Plus original, Ken Jacobs souligne l’effet positif sur les prix de cette enseigne dont le slogan est « Everyday low prices ». Or ses tarifs, de 8 à 27% moins élevés que les supermarchés, profitent surtout aux clients les moins fortunés. Un autre économiste américain de la Northwestern University-Kellogg School of Management, David Matsa, bouscule également les idées reçues en démontrant que l’arrivée d’un Walmart, loin de générer une détérioration de la qualité pour le consommateur, pousse les concurrents à s’aligner sur l’organisation et la standardisation qui font la force du géant. Leurs ruptures de stocks sont réduites d’un tiers ! En France, Charles Beigbeder a largement souligné l’effet de « levier pour le pouvoir d’achat » dans un rapport du même nom remis en décembre 2007 au secrétaire d’Etat à la Consommation, Luc Chatel.

Les économies que les ménages réalisent grâce à la baisse durable des prix provoquée par le low cost sont réinjectées dans d’autres pans de l’industrie ou des services. Un client ayant voyagé à bon prix sur Easyjet s’offrira par exemple un hôtel plus luxueux à l’arrivée. L’effet est renforcé par le « mimétisme tarifaire » des concurrents forcés de s’aligner. Austan Goolsbee, professeur à la Booth School of Business de l’université de Chicago e t ancien conseiller économique de Barack Obama, a par exemple démontré l’enchaînement vertueux qu’a provoqué l’arrivée du pionnier du low cost aérien, Southwest Airlines, à l’aéroport de Washington Dulles en 2006. Dès l’annonce de son implantation, neuf mois avant le début des vols, les concurrents avaient diminué leurs prix de 24% sur les routes désormais en concurrence. Et les tarifs ont encore baissé de 21 à 29% une fois le service établi. De quoi séduire les passagers qui prenaient jusque-là la voiture.

EASYJET A FAIT EXPLOSER LE TRAFIC VERS BARCELONE

«Le low cost se traduit le plus souvent par une augmentation de trafic, sur certains secteurs comme le voyage, la baisse des prix incitant de nouvelles catégories de la population à devenir clients», expose Stéphane Potier, consultant chez Roland Berger à Paris. Les exemples sont nombreux. Ainsi 55% des clients de Ryanair n’avaient jamais pris l’avion auparavant. Dans Le Low Cost (La Découverte), Emmanuel Combe, viceprésident de l’Autorité de la concurrence, raconte que l’entrée d’Easyjet en 1995 sur la route Londres-Barcelone face au duopole Iberia-British Airways, a généré une multiplication du trafic par cinq en dix ans.

De même, selon Paul Sessego, le directeur général d’iDTGV, cette filiale de la SNCF spécialisée depuis 2004 dans les offres bon marché réservables uniquement par Internet «a fait venir 40% de clients supplémentaires qui sinon n’auraient pas pris le train». C’est tout le pari commercial sur lequel repose Ouigo, la nouvelle filiale low cost de la SNCF: capter de nouveaux clients qui utilisaient jusque-là leur voiture ou le covoiturage, sans risque de cannibalisation pour les ventes classiques... La direction misait sur une augmentation de 30%. Un mois de mise en service plus tard, le taux est encore meilleur.

AUX ETATS-UNIS, AUSTAN GOOLSBEE ET KEN JACOBS D’ACCORD SUR L’EFFET PRIX



Dans leurs travaux, David Thesmar (à gauche) et Augustin Landier estiment que l’entrée de Free sur le mobile va libérer du pouvoir d’achat et créer des emplois indirects. Une étude critiquée par leurs confrères, et pas seulement parce qu’elle a été réalisée à la demande de... Free.


Pour Austan Goolsbee (à gauche), les conséquences du low cost dans l’aérien ont été très positives sur les prix. Certes, convient Ken Jacobs (à droite), mais l’exemple de Walmart montre que seuls des emplois mal payés rendent ces rabais possibles.




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