mercredi 27 janvier 2016

Thierry Bardy - les derniers résultats Netexplo mettent la blockchain à l'honneur .

Thierry Bardy - tags:  blockchain

Thierry Bardy Hémisphère droit institut

 

 

 

 

 

 

Dix projets distingués par le Forum Netexplo, qui recense chaque année les dernières tendances de l’innovation, sont dévoilés aujourd’hui à Paris. Les prix seront remis début février.

Comment se repérer dans le déluge d’innovations qui caractérise la période actuelle ? L’essor des technologies numériques, l’engouement pour les start-up, la multiplication des incubateurs ou des Fab Lab, combinés à la montée en puissance des plates-formes de financement participatif (Kickstarter, Indiegogo…) font naître chaque jour des dizaines de nouveaux objets, concepts, logiciels ou services. Sans parler des centres de recherche, publics ou privés, qui, eux aussi, se chargent d’inventer le monde de demain. Dans cet immense réservoir, l’observatoire Netexplo sélectionne chaque année 100 innovations, dont 10 se voient remettre un grand prix.
Pour cela, ce cabinet basé à Paris s’appuie sur une vingtaine d’universités partenaires à travers le monde (HEC en France et au Canada, Stanford et Columbia aux Etats-Unis, KAIST en Corée du Sud, IIIT de Bangalore en Inde…). Cela permet de chercher les innovations au-delà de l’habituelle Silicon Valley, y compris en Amérique du Sud ou en Afrique.
Au-delà d’une simple remise des prix, la sélection annuelle est aussi l’occasion de mettre l’accent sur plusieurs tendances émergentes de l’innovation. Si les éditions précédentes avaient souligné au fil des ans la montée en puissance des réseaux sociaux, des applications, des capteurs, des outils de modélisation ou des objets ­connectés, l’édition 2016 est marquée par les progrès de la biologie de synthèse, l’accélération des plates-formes sociales ou économiques, et par les avancées de la robotisation et de l’apprentissage automatique. « Sur les 100 projets retenus, environ 70 correspondent à l’une de ces trois grandes familles », explique Julien Lévy, professeur à HEC Paris, chargé chaque année de détecter et d’analyser les tendances émergentes.

La grande percée de la biologie de synthèse

Créer et cultiver des cellules vivantes, en modifiant leur ADN presque aussi simplement que l’on suit une recette de cuisine : c’est la vocation d’Amino, un kit de fabrication de matières biologiques pour les écoles et les particuliers. Conçu par une chercheuse canadienne du MIT Media Lab, Julie Legault, ce boîtier de la taille d’un gros tourne-disque contient tout ce qu’il faut pour devenir un parfait « bio-hacker » : centrifugeuse, capteurs, bioréacteur, etc. Sur le modèle des kits d’initiation à l’électronique et à la programmation Arduino, l’idée est de proposer différentes expériences à une communauté d’utilisateurs, en fournissant si nécessaire le matériel de base. Après une campagne réussie fin 2015 sur Indiegogo, les 50 premiers exemplaires d’Amino seront disponibles d’ici à l’été.
Pas question pour autant de transformer enfants et étudiants en Dr Frankenstein, se défend sa conceptrice : «  Plus vous réaliserez des expériences par vous-même, plus vous comprendrez ce qu’est réellement la biotechnologie, et ce qu’elle peut faire de bien ou de mal, explique Julie Legault. Je fais le parallèle avec l’informatique dans les années 1980 : les ordinateurs étaient souvent vus comme effrayants, jusqu’à ce que des modèles bon marché permettent aux gamins d’apprendre à programmer. »
Pour Julien Lévy, « cette innovation illustre une idée commune aux bio-hackers et au mouvement transhumaniste : les frontières entre le biologique et le numérique sont de plus en plus floues ». Dans le même état d’esprit, les jurés de Netexplo avaient repéré un programme de production d’insuline « open source » ou une cellule capable de stocker des informations. Ils ont finalement distingué, parmi les dix lauréats, un nanorobot qui s’inspire d’une bactérie. Conçu par l’université Drexler de Philadelphie, il est destiné à naviguer dans les artères pour les déboucher sans chirurgie.

La nouvelle révolution des plates-formes

Popularisé par le bitcoin et d’autres monnaies virtuelles, le protocole informatique « blockchain », qui permet des transactions sécurisées sans passer par une base de données centralisée, a donné naissance à des centaines, voire des milliers de start-up qui ambitionnent de révolutionner le monde de la finance. Parmi celles-ci, Netexplo a choisi une entreprise israélienne, Colu, qui a adapté la technologie pour l’appliquer non seulement aux monnaies, mais à tous les actifs numériques : billetterie, coupons de réduction, titres de propriété, etc. « Nous utilisons notre propre version du protocole, appelée “Colored Coins”, pour ajouter des informations adaptées à différents scénarios », explique David Ring, cofondateur et responsable de la R&D de Colu. Un autre lauréat, Bitland, utilise la technologie « blockchain » pour créer un cadastre virtuel au Ghana.
Mais toutes les plates-formes distinguées dans l’édition 2016 ne passent pas par « blockchain ». Le projet sud-africain Aweza utilise, par exemple, le smartphone pour proposer des traductions entre les 11 langues officielles du pays. Quant à la start-up Wonolo (pour « work now locally »), basée à San Francisco, elle a adapté au monde des ­entreprises un modèle qui a fait le succès d’Uber ou de TaskRabbit : donner accès en temps réel à un vivier de travailleurs indépendants (15.000 sont référencés sur le site), immédiatement disponibles. « Nos clients sont des professionnels de la logistique ou de l’e-commerce qui ont besoin de main-d’œuvre temporaire, explique AJ Brustein, cofondateur de Wonolo. C’est l’employeur qui fixe le prix, mais le candidat est libre de l’accepter ou pas : le pouvoir est du côté du travailleur », affirme-t-il, en mettant en avant un salaire horaire supérieur au salaire minimum, « de l’ordre de 15 dollars de l’heure. » Fondé par anciens deux employés de Coca-Cola dans le cadre de l’incubateur du groupe, Wonolo a levé 2,2 millions de dollars en mars 2015.

Robots : vers l’émancipation des machines

La troisième tendance mise en avant cette année est sans doute la plus fascinante : comment les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle laissent entrevoir un monde où les machines n’auront plus besoin de l’homme pour se perfectionner. Le Todai Robot Project, lancé en 2011 par l’Institut national d’informatique du Japon, vise ainsi à développer une intelligence artificielle capable de réussir les tests d’entrée à l’université de Tokyo. En novembre, ce logiciel a obtenu une note supérieure à la moyenne (511 points sur 950), mais encore insuffisante pour être accepté – un objectif que ses concepteurs pensent atteindre en 2021.
L’apprentissage automatique ­concerne également les objets physiques. Netexplo a ainsi distingué l’entreprise allemande Ascending Technologies, dont les drones volants sont capables de reconnaître et d’éviter les obstacles sans aucune intervention humaine – une prouesse qui lui a valu d’être acquise par Intel début janvier. Tout aussi futuriste mais beaucoup plus loin de la commercialisation, un chercheur de l’université d’Oslo (Norvège) a mis au point un robot imprimé en 3D qui apprend de ses erreurs et s’adapte aux différentes modifications de son environnement. « L’idée est que le robot trouve seul la façon de se déplacer la plus efficace possible », explique Eivind Samuelsen, l’étudiant à l’origine du projet. A terme, le robot pourrait même concevoir de nouvelles pièces mieux adaptées, et pourquoi pas les imprimer en 3D.
Enfin, l’édition 2016 va décerner un prix à un projet de robotique moins spectaculaire, mais particulièrement utile : la prothèse IKO, mise au point par un ingénieur colombien pour dédramatiser le handicap chez les enfants. Compatible avec les jouets programmables Mindstorms de Lego, la main artificielle IKO peut être transformée à volonté pour devenir une pince, un tractopelle… ou même un vaisseau spatial. L’idée est que son propriétaire puisse s’amuser, mais aussi développer de nouvelles fonctions, par exemple avec l’aide du club de sciences de son école. « Nous prévoyons de tester dix prototypes de notre prothèse à partir de la fin avril », indique son inventeur, Carlos Arturo Torres.

Thierry Bardy - de Jeopardy d'Ibm à DeepMind de Google

 Thierry Bardy , tags : Intelligence artificielle

DeepMind, filiale du groupe californien, a développé des algorithmes s’inspirant du cerveau humain. Plus complexe à modéliser que les échecs, le go était le dernier jeu de plateau où l'homme battait la machine.

C’est une nouvelle frontière de franchie pour l’intelligence artificielle : vingt ans presque jour pour jour après le premier match entre l’ordinateur Deep Blue d’IBM et le champion du monde d’échecs Garry Kasparov (lire ci-dessous), le groupe américain Google vient d’annoncer qu’un système conçu par une de ses filiales, DeepMind, avait réussi à battre un joueur professionnel de go. L’exploit, réalisé dans le plus grand secret au mois d’octobre 2015, fait la une du dernier numéro de la revue « Nature », publié ce jeudi. Lors de la rencontre, le système d’intelligence artificielle conçu par DeepMind, baptisé AlphaGo, a battu par cinq victoires à zéro un professionnel de 35 ans, Fan Hui, considéré comme le meilleur joueur de go d'Europe.
Acquise par Google en 2014, la start-up britannique DeepMind, fondée trois ans auparavant, s’est spécialisée dans les techniques d’apprentissage automatique (« deep learning ») et les réseaux de neurones artificiels (« neural networks »). Ces algorithmes s’inspirent du fonctionnement du cerveau humain pour résoudre des problèmes sans apprentissage préalable. A la pointe de la recherche en informatique, ils ont déjà permis des avancées majeures dans la reconnaissance automatique d’images ou de la parole.

« Space Invaders »

Il y a tout juste un an, l’entreprise (rebaptisée Google DeepMind après le rachat) s’était déjà fait remarquer en utilisant les réseaux de neurones pour apprendre à un ordinateur à jouer à 49 jeux vidéo des années 1980, comme « Space Invaders », et à atteindre un niveau supérieur aux humains pour 22 d’entre eux. Il faut dire que l’un des trois fondateurs de DeepMind, Demis Hassabis, est passionné par le jeu : jeune prodige des échecs (il a été numéro 2 mondial des moins de 14 ans), il a ensuite développé des jeux vidéo avant de reprendre des études de neurosciences. « Les jeux sont une plate-forme parfaite pour développer des algorithmes d’intelligence artificielle rapidement et efficacement », a-t-il indiqué sur le blog de Google. « A terme, nous voulons appliquer ces méthodes pour résoudre les problèmes du monde réel. »
Le choix d’utiliser le jeu de go pour montrer la puissance des outils de « deep learning » de Google ne doit rien au hasard : inventé en Chine plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, le go a longtemps représenté un défi insurmontable pour les informaticiens spécialisés dans les jeux de stratégie. La taille de la grille (19x19) et le principe même du jeu (les deux joueurs se livrent des combats simultanés dans différentes portions du plateau pour occuper le plus d’espace possible), en multipliant les possibilités de coups, rendent le go bien plus difficile à modéliser que les dames ou les échecs.

Prochain match en mars 2016

« Jusqu’à présent, les meilleurs programmes pouvaient battre des joueurs amateurs, mais perdaient face à des professionnels », explique Bruno Bouzy, chercheur en intelligence artificielle et maître de conférence à l’université Paris-Descartes. Pour remporter le match contre Fan Hui, AlphaGo combinait les réseaux neuronaux et une technique déjà utilisée pour le jeu de go par ordinateur, appelée MCTS (« Monte Carlo Tree System »). Il bénéficiait aussi d'une importante puissance de calcul - l’article de « Nature » évoque plus d’un millier de processeurs (CPU) en réseau. Et
L’équipe de DeepMind ne compte pas s’arrêter là : elle a déjà annoncé qu’AlphaGo allait affronter en Corée, en mars prochain, Lee Sedol, considéré depuis dix ans comme le meilleur joueur du monde. Un événement qui, en Asie, devrait avoir autant de retentissement que le match Deep Blue-Kasparov en son temps.

lundi 25 janvier 2016

Thierry Bardy - L'armée américaine veut créer des soldats cyborgs

La Darpa entend tester une interface neuronale pour améliorer la communication soldat machine. (Crédit D.R.)

La Darpa entend tester une interface neuronale pour améliorer la communication soldat machine.
Après Hollywood, l'armée américaine entend mettre sur les champs de bataille des soldats cyborgs équipés d'une puce électronique pour mieux communiquer avec ses troupes.

L’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency ou Darpa) développe une puce implantable dans le cerveau des soldats qui pourra communiquer directement avec les ordinateurs. La puce pourrait recevoir des informations sur la position de l’ennemi, des relevés cartographiques et des instructions de combat.

Avec cette puce, les soldats-cyborgs seraient de meilleurs combattants et mieux protégés. « Aujourd’hui, les meilleures interfaces cerveau-ordinateur sont comme deux supercalculateurs qui essaient de communiquer entre eux avec un vieux modem de 300 bauds », a déclaré Phillip Alvelda, manager du programme Neural Engineering System Design de la Darpa. « Imaginez ce qui sera possible quand nos outils pourront créer une voie de communication entre le cerveau humain et l'électronique moderne ». Le nouveau programme annoncé cette semaine par le DARPA a pour ambition de développer l’interface neurale capable de relier le système nerveux biologique avec un ordinateur et de fournir « une qualité de signal et une bande passante exceptionnelles pour le transfert de données » entre un cerveau humain et un système numérique. Il faut imaginer l'interface neurale comme une sorte de traducteur qui transformerait des signaux numériques en langage électrochimique compréhensible par le cerveau humain et réciproquement.

Une interface neuronale de l'épaisseur d'une pièce de monnaie

L’interface neurale sur laquelle travaille l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense, qui s’intéresse aux applications des technologies émergentes à des fins militaires, ne devra pas dépasser un centimètre cube en largeur et l’équivalent de deux pièces d’un centime en épaisseur. Il existe déjà des interfaces neuronales approuvées pour un usage sur l’homme, mais elles ne sont pas encore assez précises et l’information fournie à l’utilisateur reste très embrouillée, avec beaucoup de bruit et peu de données utiles. Le Darpa veut améliorer la technologie pour que le système puisse communiquer clairement et individuellement avec un maximum d'un million de neurones situés dans une région spécifique du cerveau.
Depuis plusieurs années, les acteurs de l'industrie pensent que l’association de la biologie et des machines permettra de créer une technologie très puissante. Il y a plus de six ans, un chercheur d’Intel avait déclaré qu’en 2020 le cerveau humain pourrait contrôler des ordinateurs, sans clavier ni souris, à l’aide de puces implantées. Il y a quatre ans environ, les chercheurs de la Northwestern University ont déclaré qu'ils avaient réussi à faire bouger une main paralysée en utilisant un dispositif capable de transmettre directement un message du cerveau aux muscles de la main. Et en septembre dernier, un professeur de génie électrique et d’informatique de l'Université de Berkeley en Californie, a déclaré à Computerworld que dans une dizaine d’années, les capteurs informatiques équiperont les murs de nos maisons, nos meubles - et nos cerveaux.

Un projet multidisciplinaire

Le nouveau projet de recherche de l'armée américaine va réunir des spécialistes en neurosciences, en biologie synthétique, en électronique de faible puissance, en photonique, et des experts en dispositifs médicaux. Les scientifiques devront utiliser des techniques mathématiques et de traitement neuronal avancées pour traduire le langage électro-biologique en langage numérique. L'armée espère que des acteurs de l'industrie vont s’associer à cette recherche, et qu’ils apporteront leurs savoir-faire dans le prototypage, la fabrication, en plus de leur propriété intellectuelle. Le Darpa a prévu de réunir chercheurs et partenaires potentiels à Arlington, Virginie, les 2 et 3 février prochains.

jeudi 21 janvier 2016

Thierry Bardy ; DU GÉANT TECHNOLOGIQUE DU NASDAQ À LA BICYCLETTE CONNECTÉE



Tel a été le choix de Zhang Xiangdong, président de Sungy Mobile Limited, qui a quitté son entreprise florissante pour repartir de zéro.


Voilà dix ans que Zhang Xiangdong a fondé sa start-up Sungy Mobile. En une dizaine d'années, son entreprise est passée du statut de jeune pousse à celui de géant du mobile, revendiquant plus de 200 millions d'utilisateurs sur ses applications à travers le monde. Aujourd'hui, l'entreprise est listée au Nasdaq et enregistre une capitalisation boursière de plus de 150 millions de dollars.

Et pourtant, ça ne suffisait pas pour  le (l'ancien) président Zhang Xiangdong. Passionné de vélo, cet entrepreneur dans l'âme avait pour habitude de parcourir toutes les routes emblématiques de la planète pendant son temps libre. Il a même publié un ouvrage retraçant ses sorties à vélo. Courant 2014, il décide que son hobby doit changer de dimension. Dans les mois suivant, il quitte ses fonctions au sein de son entreprise internationale et se lance dans une nouvelle aventure : 700Bike, jeune start-up chinoise basée à Pékin et spécialisée dans la conception de bicyclettes connectées.

Après la sortie d'un premier modèle de vélo, deux nouveaux annoncés autour de 400 dollars devraient arriver sur le marché chinois d'ici la fin de l'année, ainsi qu'un autre courant 2016, aux alentours de 500 dollars. Pour résumer, les vélos imaginés par la start-up chinoise sont spécialement pensés pour s'adapter à une conduite en ville. Ils possèdent un GPS intégré, un calculateur de vitesse, un moteur électrique autonome en énergie et un traqueur d'activité. De plus, ils sont équipés d'un système d'évitement automatique des petits obstacles pouvant se trouver sur la route, afin de permettre au cycliste de rester concentré sur le trafic automobile. Son design est également élaboré de façon à absorber au maximum les chocs et ses pneus en kevlar doivent permettre de prévenir tout risque de crevaison.

En Chine, près de 551 millions de personnes se déplacent tous les jours à vélo. Et 700Bike n'est pas la seule entreprise à vouloir se positionner sur ce marché au sein de l'Empire du Milieu. Et si Baidu (le Google chinois) par exemple, avec son projet de bicyclette autonome affiche sur le papier davantage « d'intelligence » pour son futur vélo que le nouveau bébé de Zhang Xiangdong, l'entrepreneur reste confiant pour la suite. « Internet est le futur, mais vous ne pouvez être « smart » juste pour le plaisir d'être « smart ». 700 Bike espère juste pouvoir donner à l'utilisateur la meilleure expérience possible », a-t-il expliqué en début de semaine au magazine spécialisé Tech In Asia.

Klaus Schwab : « Les Etats aussi devront s’adapter à la révolution numérique »




 







Thierry Bardy - tags ; gouvernance mondiale , économie numérique
Klaus Schwab , le fondateur du Forum de Davos donne sa vision de l'économie mondiale et de son mode de gouvernance ...

 Comment va l’économie mondiale en ce début d’année 2016 ?
J’ai un espoir modéré. Les organismes internationaux comme la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE prévoient une croissance de l’ordre de 3 %, avec une petite accélération dans les pays développés, y compris en Europe, et une décélération des pays émergents. Mais l’environnement est très fragile, avec non seulement des risques connus (« known unknowns ») mais aussi nombre de risques inconnus (« unknown unknowns »). 
Et une croissance de 3 % l’an est trop faible pour résoudre les grands problèmes sociaux de la planète, accroître l’inclusion, créer les emplois nécessaires. Avant la crise de 2007-2008, la croissance mondiale était de 5 % l’an. L’écart de 2 % avec la croissance actuelle peut sembler finalement limité. Mais, dans un cas, la production de la planète double en quatorze ans. Dans l’autre, elle double en vingt-trois ans. A long terme, l’écart est donc majeur.

La révolution numérique et l’automatisation détruisent beaucoup d’emplois. Où vous placez-vous dans le débat très vif sur la capacité de l’économie à créer de nouveaux postes ?
Je suis optimiste, mais je vois les défis. La quatrième révolution industrielle, composée d’une série d’avancées technologiques qui combinent leurs effets – intelligence artificielle, robotique, Internet des objets, véhicules autonomes, impression 3D, biotechnologies, informatique quantique, pour ne citer qu’eux –, ne fait que commencer. La courbe sera exponentielle et nous en sommes au point d’inflexion, là où l’accélération devient massive.
Cette révolution va détruire beaucoup de postes de travail, en particulier dans toutes les fonctions d’intermédiation. Mais je crois en la destruction créatrice décrite par l’économiste Joseph Schumpeter : si des emplois vont disparaître, d’autres vont émerger que nous sommes aujourd’hui bien en peine d’imaginer. Il s’est passé la même chose lors des révolutions industrielles précédentes, quand, par exemple, des millions d’emplois ont disparu dans l’agriculture. Il faudra former les hommes et les femmes aux nouveaux postes, avec de nouvelles compétences. Cet effort colossal nécessitera une très forte coopération entre les Etats et les entreprises. 
La vraie question est celle du rythme, car la quatrième révolution va très vite. De fortes tensions sociales risquent de se former. L’enjeu dépasse largement l’économie, car les emplois en voie de disparition sont souvent ceux des classes moyennes, qui constituent le pilier des systèmes démocratiques.
Si le mouvement va très vite, n’y a-t-il pas le risque de voir une génération sacrifiée ?
Il y a longtemps déjà, Raymond Barre prédisait un avenir où le mot « employé » n’existerait plus. Nous n’en sommes pas encore là. Mais il est absolument nécessaire d’inciter les jeunes à créer leur propre emploi, dans l’industrie, dans l’économie, dans le social – je crois beaucoup à l’entrepreneuriat social. Si vous me permettez un néologisme, je dirais qu’il faut « entrepreneurialiser » la jeune génération.
Quel est le rôle du politique dans cette quatrième révolution industrielle ?
En principe, le politique doit déterminer les règles du jeu et les faire respecter. Il le fait à partir des évolutions passées, en fixant les règles pour longtemps. Mais, aujourd’hui, le changement va tellement vite qu’il a du mal à jouer ce rôle. On le voit bien par exemple avec les voitures autonomes, qui pourraient bientôt circuler… s’il y avait un cadre juridique autour, pour l’instant totalement inexistant. Comme les entreprises, comme les hommes et les femmes, les Etats devront aussi changer, s’adapter. Ils devront agir de manière beaucoup plus agile. Mais il est pour l’instant difficile de concilier cette agilité avec le fonctionnement actuel de la démocratie, une démocratie absolument nécessaire. Il faudra donc inventer de nouveaux modèles. Pour cela, il faut aussi que les opinions publiques prennent conscience des changements en cours, de leur ampleur, de leur portée.

Vous avez créé le Forum avec l’idée que l’entreprise devait servir non seulement ses actionnaires, mais aussi toutes ses parties prenantes – salariés, clients, fournisseurs, collectivités. Où en sommes-nous, près d’un demi-siècle plus tard ?
Je suis désormais convaincu que l’entreprise doit aussi être partie prenante de ce qui se passe hors de ses frontières. Elle doit s’impliquer dans la gouvernance mondiale, agir avec les sociétés civiles. Il nous faut une coopération beaucoup plus grande entre entreprises et gouvernements. C’est d’ailleurs une telle forme de coopération qui a permis le succès de la COP21, la conférence de Paris sur le climat. Pour aller plus loin, la représentation des entreprises doit elle aussi changer. Aujourd’hui, elles sont organisées en silo. La pharmacie, l’automobile… Que veulent dire ces frontières quand il s’agit d’avancer sur la question de la santé, quand la voiture relève davantage de l’électronique que de la mécanique ? C’est la mission fondamentale du Forum que d’organiser un dialogue global entre les différents intervenants privés, entre privé et public, entre acteurs et experts, avec aussi les grandes organisations internationales, les ONG, les médias.

Dans cette nouvelle révolution, les grandes entreprises se sentent parfois menacées. L’effondrement des coûts de transaction induit par les technologies de l’information fait disparaître l’une des raisons de leur existence…
Les grandes entreprises peuvent naturellement encore profiter de leurs effets d’échelle. Mais elles doivent absolument mener deux actions complémentaires pour préparer leur avenir. D’abord, elles doivent s’organiser de manière beaucoup plus horizontale. Elles doivent devenir des plates-formes, des réseaux. Le succès d’Apple, ce n’est pas seulement son iPhone, mais aussi ses centaines de milliers d’applications créées par d’autres. La même idée s’applique à des entreprises de secteurs plus traditionnels. Ensuite, les grandes entreprises doivent créer de petites entités autonomes. C’est ce qu’a fait Google en créant son holding Alphabet, composé de petites marques indépendantes. C’est la fin de la centralisation rigide !

Avant de s’appeler le « Forum économique mondial », la rencontre de Davos s’appelait le « Forum européen de management ». Que pensez-vous de l’évolution du projet européen ?
J’ai été un enthousiaste de l’Europe de la première heure. Je suis né avant la guerre, j’ai été très marqué par les figures que furent Charles de Gaulle, Alcide De Gasperi, Winston Churchill… Jusqu’à ces dix ou quinze dernières années, l’Europe s’est intégrée par étapes successives, avec la volonté de ne plus jamais avoir de guerre et de partager des valeurs communes de liberté individuelle et de responsabilité sociale. La construction d’une identité européenne l’emportait alors sur les identités nationales. Mais ,aujourd’hui, la donne a changé. Beaucoup d’Européens ne partagent plus cette volonté, cette approche. La priorité redevient nationale. Chacun veut tirer le maximum de l’Union. Du coup, la capacité à faire des compromis est réduite. Sous la pression de la crise économique, nos valeurs de base risquent de se désintégrer. C’est par exemple le problème d’Angela Merkel en Allemagne, qui défend des valeurs de solidarité et d’humanité face à une population qui a plus de mal à les accepter que par le passé. Après avoir été très optimiste sur l’Europe, je suis désormais sceptique et un peu triste. Car une Europe non unifiée n’a aucune chance d’avoir une existence forte à l’échelle mondiale, que ce soit dans l’économie, la société ou l’innovation.
Vous avez cité de Gaulle, Churchill, Gasperi… Dans votre itinéraire personnel, dans vos contacts, quelles sont les personnalités qui vous ont le plus marqué ?
Tout d’abord Raymond Barre, que j’ai cité tout à l’heure. Quand j’ai monté le Forum, j’ai écrit une lettre au président de la Commission européenne, qui a renvoyé le jeune professeur que j’étais alors vers son vice-président, Raymond Barre. Il m’a invité à déjeuner. Je lui ai expliqué mon projet, mon concept de parties prenantes. Il a accepté tout de suite de faire partie de l’aventure, à deux conditions : qu’il s’agisse d’une organisation sans but lucratif et que l’Europe soit au cœur des réflexions. Barre est longtemps resté un mentor pour moi. Il y a eu aussi Henry Kissinger. J’avais participé à son séminaire à Harvard en 1967. Il est venu maintes fois à Davos. Encore aujourd’hui, quand je vais à New York, je ne manque pas de passer un moment avec lui pour passer en revue la situation mondiale. Et puis Nelson Mandela. Je lui avais rendu visite à sa libération ; nous avions organisé en 1992 à Davos la première rencontre publique entre lui et le président de l’Afrique du Sud de l’époque, Frederik de Klerk. Et ,enfin, Lee Kuan Yew, qui fut pendant trente ans Premier ministre de Singapour. Il avait un intellect impressionnant. A mes yeux, ces quatre personnages ont marqué la fin du XXe siècle.
Entretien des Echos 19 janvier 2015

jeudi 7 janvier 2016

Thierry Bardy - "Hyperloop défie notre logique du rapport au temps".

La promesse d'Elon Musk à travers   « Hyperloop » etait de surpasser  les performances du Shinkansen, le TGV japonais.

La description la plus détaillée  de l’Hyperloop était la suivante : « un croisement entre un Concorde, un canon électrique et une table de Air Hockey. »

San Francisco-Los Angeles en moins de 30 minutes et à bas coût : avec Hyperloop le rêve d'Elon Musk devrait bientôt être réalisé. Dirk Ahlborn, son CEO  présente le projet dans toutes ses dimensions, y compris énergétiques et sociales.

« Ce qui impressionne tout de suite le public, c’est la vitesse », concède Dirk Ahlborn. « Mais la vérité, c’est qu’il y a beaucoup d’autres aspects à évoquer ».
A commencer par la genèse même du projet : alors qu’Elon Musk commence à penser à l’Hyperloop, il n’a pas le temps de le développer. Dirk Ahlborn, co-fondateur de JumpStartFund, choisit alors d’incuber le projet sur sa plate-forme. « La communauté a tout de suite été excitée par l’idée, et voulait en faire partie ». Une équipe se forme sur la base d’une centaine de personnes, qui acceptent de travailler non contre un salaire fixe mais en échange de stock-options. Des entreprises s’associent au projet à travers le monde : Etats-Unis, Europe, Asie… « Ce qui séduit, ce n’est pas que la vitesse, mais la façon dont le système fonctionne ». L’utilisateur est placé dans une capsule à basse pression au sein d’un tube qui génère un coussin d’air. « Il n’y a pas de résistance, cela demande moins d’énergie ». Par ailleurs, l’Hyperloop a vocation à utiliser des énergies alternatives : solaires, éoliennes… « L’objectif est de produire plus d’énergie que nous n’en consommons ».
Et c’est bien là toute la différence avec les autres moyens de transport. « La plupart des gens ont conscience que les compagnies ferroviaires ne sont pas profitables et dépendent du soutien des gouvernements ». Le résultat, ce sont des prix souvent élevés… « Elles doivent investir dans les infrastructures, mais aussi les entretenir. Sans coûts énergétiques, c’est plus facile… ». Selon Dirk Ahlborn, Hyperloop pourrait être rentable en seulement 8 ans et proposer des tickets à un prix plus abordable. « Des trajets comme Paris-Amsterdam ou San Francisco-Los Angeles pourraient coûter moins de 50$ ».
Les perspectives sont multiples. En termes de déplacements récréatifs, évidemment, mais aussi au quotidien. Il est désormais possible d’envisager des relations longue-distance, de vivre à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de travail… « Quand Elon Musk a proposé le concept, nous ne voulions pas simplement nous attaquer aux problématiques strictement liées au transport, mais à tout le reste » : pollution, politique sociale… « Il faut tout repenser ».
La rapidité permise par « La technologie a changé nos vies en général, tout va plus vite ». Dans une société ultra-connectée, nous avons besoin de tout, très vite, plus vite. « D’une certaine façon, le monde apparaît plus petit ». Le projet vise donc à rendre accessible physiquement ce qui l’est déjà virtuellement avec la technologie, à portée de clics. Alors que certains voudraient ralentir la cadence, prendre le temps et évoluer à un rythme plus naturel, Dirk Ahlborn estime que tout est question de génération. « Quand on regarde les plus jeunes envoyer des SMS ou utiliser les réseaux sociaux, on constate qu’ils ne se posent pas la question de la rapidité : tout est et doit être instantané ». De très jeunes enfants sont capables d’être à l’aise avec les outils technologiques dernier cri sans avoir besoin d’explications. « Ils comprennent les nouveaux usages : c’est normal d’être connecté, d’être partout. C’est l’évolution ».

l’Hyperloop s’inscrit aujourd’hui dans la suite logique de notre rapport au temps.
Pour lui, l’arrivée de la télévision ou de la radio sont comparables aux innovations technologiques actuelles. « C’est pareil, sauf qu’aujourd’hui le rythme est différent. C’est plus excitant… ». Car qui dit innovation dit équipe. Il ne s’agit pas d’avancer seul, mais de faire collaborer les idées pour qu’elles évoluent. « Quand les gens pensent à Thomas Edison, ils imaginent un seul homme. La réalité, c’est que les plus grandes inventions ont été pensées à plusieurs ». Internet permet cette ébullition, ce partage et cette collecte du savoir. « De nombreux projets n’auraient pas pu voir le jour sans la communauté web. Prenez l’exemple de l’Oculus Rift, qui a été lancé sur Kickstarter ! ». De la même manière, quand Hyperloop a été proposé sur JumpStartFund, c’était avec cette idée de pouvoir fédérer et obtenir le plus de retours possible. « C’est assez naturel. Internet a bouleversé nos habitudes, la façon dont nous faisons les courses, dont nous tombons amoureux… Assez logiquement, on ne crée plus les entreprises dans un recoin sombre en écrivant nos idées sur une serviette en papier : on cherche des retours d’opinion, de l’aide, et des propositions pour enrichir les projets ». L’ingéniosité est toujours une affaire collective…  

samedi 2 janvier 2016

Club Open Prospective, Armand Hatchuel nous explique les fondements de la "corporate governance"

Retrouver l'intervention en vidéo d'Armand Hatchuel lors de la dernière plénière du  COP (Club Open Prospective)

 










La dernière plénière du Club Open Prospective s'est réunie sur le campus de  Strat design, l'occasion fut donné à Armand Hatchuel de venir nous expliquer le concept de "corporate governance "
  
Le gouvernement d'entreprise (ou gouvernance d'entreprise, expression dérivée de l'anglais « corporate governance »  désigne le système formé par l'ensemble des processus, réglementations, lois et institutions destinés à cadrer la manière dont l'entreprise est dirigée, administrée et contrôlée.
En fonction des objectifs qui gouvernent l'entreprise, ce système est appelé à réguler les relations entre les nombreux acteurs impliqués ou parties prenantes .
Les acteurs principaux sont les actionnaires3 qui élisent soit le Conseil d'administration, lequel mandate la Direction, soit le Conseil de surveillance, lequel nomme les membres du Directoire, selon des modalités variables, propres au régime juridique de la société concernée.
Les autres parties prenantes incluent les employés, les fournisseurs, les clients, les banques ou autres prêteurs, le voisinage, l'environnement et les tiers - au sens le plus large - pouvant entrer en relation avec l'entreprise à raison de ses activités, comportements ou réalisations.
A travers cette "corporate governance" chère au professeur Hatchuel , le club avait souhaité s'interroger sur le fait de "Refonder, repenser l'entreprise afin  qu’elle (re) devienne collective créatrice et sociale.
Inventée il y a un siècle, l'entreprise incarnait l'inventivité technique, un travail organisé et un espace de négociations sociales. Son développement se confondait avec le progrès collectif.
Cette logique s'est brisée dans les années 1980. En imposant le primat de la société anonyme, donc des actionnaires, les doctrines de la " corporate governance " ont déstabilisé la mission des dirigeants et atrophié les règles de gestion.
Aujourd'hui, il faut repenser l'entreprise et son cadre juridique, parce que le droit, par son ambiguïté et ses lacunes, n'a pu empêcher le dérèglement.
Pour lancer le débat, nous avons fait un petit montage issu de "Éléphant stores production" qui fait la part belle aux "corporate share value " et au B Corp, deux notions proches et pour autant assez éloignées sur le fond de la "corporate governace" .  
Dès 2011, Michel Porter avec la « Corporate share value» s’est  déjà interrogé sur les changements nécessaires pour l’entreprise.


Source Elephantstores production
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Le dernier ouvrage de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel propose de repenser l'entreprise comme une action collective et créatrice. Leurs auteurs jugent nécessaire de repenser le statut du dirigeant et de jeter les bases d'un "contrat d'entreprise " différent du contrat de société, orienté vers le progrès collectif.
A travers son intervention et les series de questions /réponses , Armand hatchuel s'est efforce de bien distinguer toutes ces notions. Retrouver tout le film vidéo de son  intervention ci- dessous.


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question /réponse 1


question /réponse 2

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https://vimeo.com/album/3713936/video/149966803
question /réponse 3

*Armand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech, directeur adjoint du Centre de gestion scientifique et membre de l’Académie des technologies.
Il est co-auteur de L’Expert et le Système (Economica, 1992), Les Processus d’innovation (Hermès, 2006), Les Nouvelles Fondations des sciences de gestion (Vuibert, 2008) et L’activité marchande sans le marché (Presses de l’École des Mines, 2010) et co-auteur de Refonder l'entreprise (Seuil, 2012)