mardi 23 octobre 2018

Au cœur du modèle économique des GAFA

Au cœur du modèle économique des GAFA
En informant les utilisateurs du temps qu'ils leur consacrent, les plates-formes numériques s'absolvent de leur responsabilité sans changer leurs méthodes addictives et manipulatrices, selon l'expert des réseaux sociaux Sandy Parakilas
En mai, Google a fait une curieuse déclaration lors de sa conférence annuelle ---- " I/O " : la firme a annoncé qu'elle proposerait de nouvelles options permettant à ses utilisateurs d'apprendre à maîtriser leur usage de la technologie, de se déconnecter et d'acquérir de meilleures habitudes.
C'est une volte-face à 180 ° de la part d'une entreprise qui affirmait jusque-là que la technologie, loin d'être source de problèmes, était la solution à tous les problèmes. Peu après, Apple lui emboîtait le pas avec sa propre palette d'outils de confort, et quelques semaines plus tard, Facebook et Instagram annonçaient à leur tour la mise en place d'outils calculant le temps passé sur ces deux applications.
Au Center for Humane Technology, une organisation à but non lucratif créée pour combattre les maux engendrés par la technologie, nous avons observé ces développements avec la plus grande attention. Nous qui affirmons depuis des années qu'il est important de prendre conscience de ces questions, nous nous félicitons de voir l'industrie prendre des mesures pour y remédier. Il était temps : des preuves de plus en plus nombreuses attestent des risques mesurables engendrés par l'utilisation des smartphones et des réseaux sociaux.
Aux Etats-Unis, par exemple, les Centers for Disease Control and Prevention ont découvert que, chez les adolescents, notamment chez les jeunes filles, la dépression et le suicide sont corrélés à l'utilisation des appareils électroniques et des médias sociaux. Par ailleurs, des études ont montré que la moitié des adolescents et un quart des adultes disent se sentir dépendants de leurs appareils, et que leur utilisation peut induire chez eux une distraction dangereuse. Le ministère américain des transports a ainsi mis en évidence que les chauffeurs de poids lourds qui envoient des textos au volant multiplient par vingt-trois leurs risques d'avoir un accident.
Malheureusement, de nombreuses entreprises technologiques ont un modèle économique qui n'est pas aligné sur le bien-être de leurs utilisateurs.
Des firmes comme Google et Facebook, dont les recettes dépendent de la publicité, sont fortement incitées à encourager l'usage de leurs produits sans tenir compte des intérêts de leurs utilisateurs. Plus ceux-ci passent de temps sur un service, plus les entreprises ont des occasions d'afficher des publicités, plus leurs revenus augmentent. C'est pourquoi elles optimisent à la fois leur présentation et leur contenu pour augmenter le temps passé par les utilisateurs à les pratiquer, ce qui crée toute une série de problèmes.
Services délibérément addictifs au niveau le plus élémentaire, les services qui sont délibérément addictifs ou générateurs d'habitudes ont pour effet d'entraîner un mauvais usage de leur temps par les utilisateurs, qui consultent de manière incessante leur téléphone pour connaître la dernière notification ou la dernière mise à jour de statut, au lieu de faire quelque chose de plus productif.
Mais il y a des effets beaucoup plus dangereux. Du fait que les algorithmes qui sélectionnent du contenu dans les fils d'information sont optimisés pour mettre en avant, que ce soit vrai ou faux, tout ce qui est susceptible de prolonger la connexion de l'utilisateur, les infos bidon et les théories conspirationnistes bénéficient d'une exceptionnelle diffusion en ligne.
L'algorithme de YouTube a par exemple recommandé plusieurs milliards de fois des vidéos du théoricien complotiste Alex Jones et de la chaîne officielle de propagande russe Russia Today, ce qui a procuré un immense public à un contenu qui n'aurait jamais été relayé par des médias traditionnels. La tendance à proposer de plus en plus de vidéos extrêmes, afin que les utilisateurs restent sur le service, a incité l'universitaire turque Zeynep Tufekci à qualifier YouTube de " Grand Radicalisateur ". Le même problème concerne Facebook, Twitter et d'autres services financés par la publicité.
Quid des fabricants d'appareils ?
Les entreprises de médias sociaux qui dépendent de la publicité auront malheureusement du mal à changer de comportement puisque, pour qu'elles continuent à prospérer, leurs utilisateurs doivent impérativement passer de plus en plus de temps à utiliser leurs services. Informer ces utilisateurs du temps qu'ils leur consacrent est une façon pour elles de s'absoudre de leur responsabilité sans changer les méthodes addictives et manipulatrices qu'elles mettent en œuvre.
Même si, au mois de janvier, Mark Zuckerberg a déclaré publiquement qu'il voulait faire en sorte que le temps que l'on passe sur Facebook soit du temps " bien utilisé ", ses actionnaires verraient sans doute d'un mauvais œil que les gens consacrent moins de temps à consulter Facebook puisque cela ferait baisser les revenus du réseau social.
Les fabricants d'appareils comme Apple sont dans une position très différente. Ces entreprises ne gagnent pas d'argent en fonction du temps passé sur leurs appareils, elles sont rémunérées directement pas les clients qui apprécient leurs produits. Comme les gens commencent à comprendre comment les applications les manipulent, les fabricants d'appareils sont incités à améliorer la qualité de l'expérience des clients avec leurs produits afin qu'ils continuent à les utiliser. Ces fabricants ont également intérêt à protéger la vie privée de leurs clients puisqu'ils ne gagnent pas d'argent en vendant les données qu'ils collectent. C'est pourquoi les avancées vers une technologie plus humaine sont plus susceptibles de provenir des fabricants d'appareils que des entreprises de réseaux sociaux. Et ces avancées sont urgentes.
Sandy Parakilas

lundi 15 octobre 2018

La 5G broadcast divise le monde de la radio



La 5G broadcast divise le monde de la radio

Toujours diffusée en FM, la radio pourrait profiter de la 5G pour se numériser.
Une nouvelle technologie concurrence l’autre. Le radio diffuseur Towercast, filiale du groupe NRJ, lance à Paris une expérimentation de diffusion de contenus vidéo et audio en 5G broadcast.
« D’ici à 2025, les contenus vidéo représenteront environ 70 % du trafic mobile », explique Hugues Martinet. « Il faudra donc désengorger les réseaux des télécoms pour diffuser ces contenus sur des réseaux de type média.
Grâce à la 5G broadcast, il suffira de 1 600 sites de diffusion pour couvrir 90 à 95 % de la population, comme un réseau de TNT », ajoute-t-il.
Cette annonce vient relancer le débat sur la numérisation de la radio qui déchire le secteur depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, 95 % de la diffusion de la radio est encore assurée par les fréquences analogiques en FM. Le reste de l’écoute de la radio se fait directement sur les smartphones. Avec constance, le CSA pousse pour l’adoption de la radio numérique terrestre (RNT) sur la norme DAB +. Mais il se heurte à l’opposition des grands acteurs nationaux de la radio qui ne veulent pas en entendre parler. Pour eux, le DAB + cumule les inconvénients : il faut payer un deuxième réseau de diffusion sans gagner un centime de publicité en plus. Pire, il faut que les Français rachètent de nouveaux postes de radio DAB+ à la maison ou dans leur voiture.
En face, les radios plus petites, qui ne disposent pas de nombreuses fréquences FM, y voient là une formidable opportunité d’acquérir une audience nationale et donc de concurrencer leurs grandes sœurs.
« Nous militons pour que nos radios soient diffusées le plus largement et simplement possible auprès des auditeurs. Nous voulons donc une diffusion hybride avec la FM, le DAB+ et même la 5G broadcast » explique Jean-Éric Valli, président du groupement des Indés Radios qui rassemble 131 radios indépendantes. Il encourage le CSA à poursuivre ses efforts pour déployer le DAB +.
Après de nombreuses tentatives infructueuses, le CSA a relancé le processus d’appel d’offres de fréquences DAB + à Nantes, Strasbourg et Lyon. Selon le plan de marche du régulateur, le DAB + devrait être déployé en France vers 2021. Soit, peu ou prou, en même temps que le déploiement des réseaux de 5G mobiles qui équiperont les futurs smartphones et voitures connectées.
« Les Français pourront donc écouter la radio dans tous les foyers et sur tous les axes routiers sans rupture », anticipe un supporteur de la 5G broadcast.
Mais ce débat sur les avantages comparés des différentes technologies n’est pas neutre. « Si les radios et les télés adoptent la 5G broadcast, ils vont basculer dans le monde de télécoms et des plateformes Internet américaines. Ce monde n’est pas régulé par le CSA, et les médias risquent de dépendre de la bonne volonté de Google ou de Facebook pour être référencés », analyse Jean- Éric Valli.
« C’est un faux débat. Aujourd’hui, plus de 60 % des Français reçoivent la télévision via les box Internet des opérateurs télécoms et personne ne s’en plaint », réplique un patron de radio.
Le radiodiffuseur TDF, qui travaille à la fois pour des médias et des opérateurs télécoms, est très prudent sur la question et ne veut pas prendre parti.