Beaucoup l'ignorent, mais c'est souvent « l'intelligence augmentée », c'est-à-dire l'intelligence humaine « augmentée » par des outils d'intelligence artificielle, qui donne les meilleurs résultats. Dans un exemple de diagnostic de cancer cité par le Dr Rus, l'intelligence artificielle atteint 7,5 % d'erreur, les médecins spécialistes 3,5 % et les spécialistes outillés de logiciels 0,5 %. Le jeu d'échecs est l'un des premiers domaines dans lequel les ordinateurs ont commencé à battre l'homme. Mais ce sont les « centaures » - joueurs outillés d'intelligence artificielle, mi-humains, mi-machines - qui gagnent désormais les parties « freestyle ».

Vers une bulle de l'IA

Enfin, ces technologies sont l'objet d'améliorations rapides qu'il est tentant d'extrapoler. Dans les années 1970, 1.000 dollars permettaient d'acheter une capacité de calcul équivalent à l'intelligence d'une bactérie. Actuellement c'est celle d'un singe. En 2030, ce serait celle d'un humain, mais avec deux limites. D'abord, cette intelligence artificielle reste une intelligence dite « faible », limitée à des tâches bien définies, comme la reconnaissance d'images. Aucun chercheur au monde ne sait comment on pourrait un jour concevoir une intelligence « forte », capable de sensibilité, d'initiative ou de contextualiser (passer de l'analyse d'image à un diagnostic tenant compte de l'ensemble du patient).

Ensuite, les extrapolations supposent une amélioration infinie de la puissance des ordinateurs. Or la fameuse loi de Moore, qui exprime cette amélioration, montre des signes d'essoufflement. Imaginons qu'il n'en soit rien : si les capacités de l'iPhone progressaient au même rythme que depuis dix ans, ils auraient en 2280 assez de mémoire pour stocker l'état de chaque atome de l'univers. Il est donc probable que le progrès de l'intelligence artificielle s'essouffle bien avant, laissant un champ large à l'intelligence humaine.
Toute technologie s'accompagne de bulles et l'intelligence artificielle n'y fait pas exception. Pour les dirigeants, privés ou publics, l'enjeu est double : saisir les opportunités offertes par l'intelligence artificielle et éviter ses mirages. A ce jour, ces opportunités apparaissent sous la forme de centaures, humains augmentés par le numérique, plus que sous la forme d'intelligences capables de totalement remplacer l'homme, ce dont aucun chercheur n'a le début d'une preuve.
Vincent Champain, cadre dirigeant et président de l'Observatoire du Long Terme (http://longterme.org)