jeudi 16 mai 2013

Les données de santé, un gisement convoité

Les feuilles de soins des assurés sociaux sont résolument bavardes. En épluchant chaque année plus d’un milliard de demandes de remboursement, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) s’est dotée d’une machine de guerre compilant des informations sur l’état de santé des personnes, leurs maladies, leurs comportements, leur consommation de soins ou bien encore leurs facteurs de risques. Un gigantesque gisement d’informations réunies dans le système national d’informations interrégime de l’assurance maladie (Sniiram), devenu au fil du temps un précieux instrument statistique pour décrypter la position sociale, l’environnement de travail ou bien encore le lieu de vie des patients.

Son accès pourrait prochainement s’étendre sous l’impulsion d’Etalab, établissement logé à Matignon et chargé de promouvoir l’ouverture des données publiques, et de l’Institut des données de santé (IDS), qui en débattront à l’occasion d’états généraux sur l’open data (ouverture des données publiques), annoncés en juin.

“Beaucoup d’acteurs ont besoin de ces données, explique Christian Babusiaux, président de l’IDS (lire son verbatim). Ce qui explique qu’aujourd’hui, le gouvernement veuille promouvoir leurs utilisations.” C’est précisément la mission de cet institut qui, sans être une agence d’État, a la délicate mission de rassembler les acteurs publics et privés de la santé pour impulser ce partage des connaissances utiles aux décisions. Un exercice délicat du consensus, puisque pas moins de quatre fédérations hospitalières, les unions nationales des régimes spéciaux, des professionnels de santé et des organismes complémentaires d’assurance maladie y siègent aux côtés des caisses, du collectif intérêt associatif sur la santé et des ministères chargés de la santé, de l’assurance maladie et du handicap, sans oublier celui de des Finances et de l’Industrie. Un tour de table appelé à se prononcer sur les demandes d’extraction ou d’accès aux informations.

Enrichissement de la connaissance

En six ans, l’IDS a reçu 19 000 requêtes qui émanent d’acteurs de plus en plus diversifiés. La Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) semble de loin l’organisme le plus friand de ces données de santé publique, mais désormais, les CHU, parmi lesquels celui de Lyon, multiplient les demandes d’accès. “Nous travaillons sans relâche au chaînage d’informations anonymisées contenues dans des bases différentes”, explique Richard Decottignies, directeur de l’IDS.

Depuis deux ans, les informations portées sur les feuilles de soins sont enrichies des données recueillies par les organismes sur les patients et les producteurs de soins, qu’ils soient publics ou privés. L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) l’enrichit par exemple en y apportant les données anonymisées relatives au séjour hospitalier, recueillies par les hôpitaux dans le cadre du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI).

Ces récents appariements de données augmentent encore leur intérêt pour évaluer et guider, par exemple, le plan Cancer, déceler les risques sanitaires et faire évoluer la prise en charge de la dépendance et du handicap. Car ces données offrent encore bien d’autres possibilités. “Elles ouvrent la voie aux études socio-économiques dont les décideurs ont besoin”, précise Christian Babusiaux.

Accès réduit

L’étude du parcours de soins d’une population ciblée à l’échelle d’une région, d’un département, d’une commune, la connaissance des dépenses de soins assumées par les victimes des accidents de la circulation dans une ville ou bien l’évaluation de la prise en charge des malades d’Alzheimer au niveau d’un département ne sont que quelques exemples des études possibles. Bon nombre d’observatoires régionaux expriment déjà des demandes d’accès à ces fichiers autour de questions à la fois économiques et épidémiologiques.

Ces études peuvent effectivement guider des choix d’aides, d’investissements ou d’aménagements à tous les échelons de l’État. Problème : ces informations existent, mais circulent peu. Les caisses primaires d’assurance maladie n’y ont encore qu’un accès réduit et moins de 300 personnes sont habilitées à manipuler ces délicates statistiques qui s’échangent entre experts. Les requêtes déposées à des fins d’étude et de recherche en santé publique réclament en moyenne dix-sept mois d’attente. L’accès aux 20 milliards de données de santé disponibles se transforme même en quête du Graal pour de nombreux acteurs publics.

Agences régionales de santé (ARS), équipes de recherches de l’Inserm et du CNRS, centres hospitaliers universitaires et centres régionaux de pharmacovigilance réclament un accès direct à ces données essentielles, y compris en termes de sécurité sanitaire. L’affaire du Mediator est venue rappeler toute l’importance de mieux les partager, mais les organismes publics ont appris à devenir patients.

Aujourd’hui, seul l’Institut national de veille sanitaire (INVS) dispose d’un accès global à ces données, auxquelles la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) devraient – enfin – pouvoir accéder d’ici l’été. “Nous luttons contre de robustes évidences, soupireChristian Babusiaux, car il ne faut pas être polytechnicien pour deviner que ces structures en ont besoin.” C’est pourquoi l’IDS travaille par exemple depuis des mois aux côtés de l’Institut national du cancer (Inca), pour constituer une cohorte à partir des données issues du Sniiram et du PMSI. L’Inca devrait disposer de la base de données qui lui est nécessaire sur le suivi des cancers à la fin de cette année, soit… dix ans après sa création !

Des précautions au-delà des principes

Mais passer la main sur l’extraction des données n’est cependant pas souhaitable pour tous les acteurs et ces autorisations s’entourent de très nombreuses précautions. Pour extraire les informations, la CNAMTS réclame encore un délai qui peut aller de trois mois à trois ans, car les services internes spécialisés peinent à satisfaire les demandes. Pourtant, l’idée de délivrer un accès direct à l’ensemble des statistiques semble encore hors de portée pour une raison simple : les données brutes exigent de passer dans des mains expertes avant de parler ! Un statisticien de la Caisse nationale d’assurance maladie témoigne de la technicité imposée par la manipulation de ces données entourées de multiples sécurités et souligne au passage un étrange paradoxe : “Pour faciliter l’utilisation de ces informations, il faut s’entourer de statisticiens et de professionnels en base de données alors qu’il est question de n’accorder que de rares habilitations selon des requêtes préétablies aux médecins des ARS. Si l’extraction des données impose de seules compétences techniques, leur interprétation impose une solide formation que la Cnam propose, pour s’interdire la moindre erreur dans le croisement des données statistiques.”

D’autres obstacles se dressent dès qu’il est question de croiser plusieurs bases entre elles. La confidentialité de ces données anonymes, que l’Insee garantit à partir du numéro d’inscription au répertoire (NIR), doit rester absolue. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, vigilante, impose d’ailleurs un principe simple : la date de naissance, le code commune, la date du décès et les dates des soins restent quatre variables sensibles qui ne peuvent être croisées entre elles, au risque de découvrir l’identité des personnes concernées.

Des préalables indispensables avant d’ouvrir les vannes, afin que ces mines d’informations soient mieux utilisées, car si les données de santé sont un patrimoine à protéger, elles méritent aussi d’être valorisées et doivent pouvoir se visiter, même si la visite est guidée.

Laurence Mauduit

“C’est aussi une question de responsabilité”
Pour Christian Babusiaux, président de l’Institut des données de santé (IDS), “l'extraction des données devient opposable face à la justice et le directeur général d’une agence pourrait être pénalement poursuivi pour n’avoir pas réclamé l’accès à ces informations qui existent. Dans l’affaire du Mediator, seule la Caisse nationale d’assurance maladie disposait de ces informations et la prudence voudrait que la caisse ne soit pas la seule à savoir. Tous ces sujets sont si lourds qu’il ne faut jamais, quelle que soit la qualité des hommes, faire l’impasse sur des expertises contradictoires. Le croisement des sujets en santé, notamment sur les médicaments, mérite que l’on s’y intéresse davantage. Les problèmes sanitaires ont toujours été dénoncés par d’autres que les institutionnels. Ceci vaut aussi à l’étranger et l’épisode de la vache folle l’a confirmé. En France, l’affaire du Mediator le démontre encore.”

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