jeudi 30 mai 2013

Dans la parfumerie, on revisite aussi complètement l'experience client


Mettre l'art de bien découvrir le parfum au coeur de l'acte d'achat, initier le consommateur aux subtilités olfactives : l'enjeu est désormais majeur pour la parfumerie. Même en dehors des périodes de fêtes des pères et mères…

Au comptoir Armani Privé au Bon Marché, une femme choisit son eau de toilette à l'aide des cloches à sentir. Rive droite, au premier étage des Galeries Lafayettes, dans l'espace dédié aux parfums Dior, un couple découvre les fragrances dans des « dés parfumés ». Et à des centaines de kilomètres, à Clermont-Ferrand, chez Haramens, une vendeuse présente les parfums à l'aide de petits piluliers. Gadgets olfactifs développés par les marques ? Pas vraiment. Ce sont des outils pédagogiques aidant à la découverte puis au choix d'un parfum. Des éléments essentiels et faisant partie intégrante du conseil aussi bien que du merchandising. Mais leur mise en place est encore trop rare. « Avec l'explosion de parfumeries en libre-service et le nombre toujours croissant de nouveautés, les techniques de vente en pâtissent et le consommateur est perdu, explique Françoise Mariez, vice-président senior marketing Coty Prestige. Emmanuel Goulin, directeur général des parfums L'Oréal Luxe France, ajoute que tous les acteurs de la parfumerie doivent repenser l'expérience d'achat. « C'est un moment magique où l'émotion compte autant que la raison. Si le parfum est un luxe accessible à tous, il doit néanmoins continuer à faire rêver. Si on persiste à faire découvrir un jus avec juste des mouillettes posées sur un linéaire, le marché va s'écrouler, d'autant qu'il est déjà en baisse. » Fin 2012, celui-ci représentait 1,88 milliard d'euros pour des ventes qui ont reculé de 0,9 % en valeur et de 3 % en volume par rapport à fin 2011*.
De la mouillette aux cloches à sentir
En conséquence, des marques ouvrent leur boutique en propre, des « shops in the shop » dans les grands magasins et des parfumeries dédiées aux fragrances de niche gagnent doucement du terrain. Tous, sans exception, axent leur service sur une vraie découverte du parfum et de tout son univers. Chez Hermès Parfumeur, la boutique ouverte au Printemps de la Beauté, on envisage une « flânerie subtilement scénographiée », dixit la maison avec, en guest stars, des cloches à sentir en céramique. Dans la boutique éphémère Dior, qui ouvre 368, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris fin mai, on découvrira les ingrédients des fragrances avec un orgue à parfums avant de se plonger dans l'histoire des jus grâce à des films projetés sur une table interactive. Quant à Chanel, la maison initie le visiteur aux matières premières avec un panel d'une quarantaine d'ingrédients puis elle lui fait découvrir les compositions sur des tiges blanches en céramique. Un détail important, toutes sont exposées loin des flacons et des visuels publicitaires pour éviter que le client ne soit influencé par l'image ou le sexe du parfum. « C'est une façon de sentir assez proche de celle d'un parfumeur au moment de composer : il n'a ni le flacon ni le pack, il peut donc se concentrer uniquement sur les accords », détaille Christopher Sheldrake, parfumeur de Chanel.
Karine Lebret, directrice de la création et du développement parfums des marques L'Oréal Luxe, Pierre Desaulles, directeur marketing du groupe Interparfums, et Anne-Caroline Prazan, directrice marketing de Guerlain constatent que le consommateur est de plus en plus en quête de détails expliquant l'histoire des marques et des fragrances. Face à ces requêtes, les distributeurs (sauf Marionnaud qui a refusé de s'exprimer sur le sujet) répondent que les conseillers de vente sont là pour guider le client et l'aider dans ces choix.
Vivre une nouvelle expérience olfactive
Mais la réalité est parfois autre : faisant le test « incognito », chez l'un, une vendeuse en guise d'explication sur les ingrédients nous lit la liste des allergènes au dos du pack de l'Eau de Narcisse Bleu d'Hermès, à savoir limonène, coumarine ou encore benzyl benzoate. Chez un autre, un vendeur suppose qu'il y a de l'iris dans Gentleman Only de Givenchy uniquement car il trouve le jus élégant. « Comment voulez-vous que des conseillers de vente retiennent l'histoire et la pyramide olfactive des centaines de jus lancés sur le marché chaque année », constate Gilles Thévenin, président des parfums Lubin. De même, sur des linéaires et hors des périodes d'animations, comment singulariser et valoriser les univers différents d'un jus de Cacharel, d'Issey Miyake ou d'Yves Saint Laurent ? Cela relève presque de l'impossible. D'autant que le client passe peu de temps sur place et son nez sature au-delà de trois fragrances : il a pour habitude de vaporiser, sentir brièvement puis jeter immédiatement la mouillette. Il ne découvre pas les jus dans une colonne à sentir comme chez Frédéric Malle, il ne vient pas non plus écouter les histoires des fragrances, assis au comptoir de la boutique Liquides, un « bar à parfums » récemment ouvert dans le Marais.
Tout cela, les distributeurs et les marques le savent parfaitement. Guerlain a décidé de faire installer sur tous ses points de vente (chaînes de parfumerie comprises) des éventails parfumés similaires à ceux que la maison avait conçus pour sa collection L'Art et la matière. « Pour offrir au client une autre gestuelle et grâce à cet objet lui faire vivre une nouvelle expérience olfactive », explique Anne-Caroline Prazan. Côté distributeurs, Guillaume Pats, directeur du pôle beauté des Galeries Lafayettes et du BHV, souhaite mieux valoriser l'ADN des marques. Son équipe se penche aussi sur des touches parfumées à porter en « accessoire » pour permettre au client de sentir les jus à même la peau. Chez Nocibé, on a mis en place des tables de découverte et des ateliers olfactifs pour proposer une vraie consultation parfum. Quant à Sephora, l'enseigne veut garder ce qui fait sa spécificité, liberté de choix et abondance de l'offre tout en développant le service. A Shanghai, elle a installé le Sensorium, un outil de découverte olfactive développé en 2011 pour familiariser les clients chinois à l'univers du parfum. Celui-ci choisit son jus pour un rendez-vous, sa journée de travail ou un cadeau à offrir à l'aide d'un questionnaire proustien et de diffuseurs de senteurs high-tech. Qui sait si le client de l'Hexagone n'aurait pas envie d'une méthode similaire ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire