vendredi 14 août 2015

Thierry Bardy - de la Propriété à l'Usage: révolution marketing ou sociétale ?


Thierry Bardy, Hemisphere droit institut













Longtemps, le capitalisme s'est identifié à la propriété. Le marché etant un lieu où nous échangeons les biens que nous possédons et ceux que nous désirons acquérir. Plus encore, la propriété constitue une composante essentielle, voire un " droit naturel " de l'être humain.Aujourd'hui, l'explosion des technologies de l'information et de la communication est à l'origine d'une mutation sans précédent : les marchés laissent la place aux réseaux ou plateformes, les biens aux services, les vendeurs aux prestataires et les acheteurs aux utilisateurs. Cette économie dite de la fonctionnalité, qui vise donc à privilégier l'usage sur la propriété est appelée à se développer, car elle est  une réponse aux tensions sur les matières premières et à une société plus responsable .

Quelques nouveaux acteurs sont en train de révolutionner les marchés du tourisme, de l’automobile, de la musique, des films…
Ces acteurs possèdent deux leviers puissants : du côté de la demande, un changement très sensible des mentalités, délaissant la propriété pour l’usufruit , louer plutôt qu’acheter. Et du côté de l’offre, des outils numériques; plateformes d’intermédiation, big data permettant de transformer radicalement les transactions.

Ce transfert de la vente de biens à la location se réalise notamment par des notations permettant de jouer sur le capital confiance, et donc de fidéliser les consommateurs
L’agilité des nouveaux venus représente un rude défi pour les grands acteurs installés, qui vont devoir convertir leurs produits en services en injectant de la valeur ajoutée. Certains ont démarré. Mais beaucoup reste à faire dans ces modèles délibérément “consumer centric”.
Désormais tout se loue, parfois entre particuliers, au lieu de succomber aux tentations de la propriété. Le modèle dominant actuel de consommation ne correspond plus aux aspirations des consommateurs, qui privilégient des valeurs de liberté, de plaisir, de statut social…

Les taux d’utilisation de la tondeuse, la perceuse ( 17 minutes/vie) ou l’automobile confinent parfois à l’absurde… La prise de conscience est évidente. Le phénomène transforme les attitudes. Et ceci surtout chez les jeunes générations, qui préfèrent les valeurs d’usufruit, de jouissance, à celles de la propriété. La conception patrimoniale des biens fout le camp. Cette désertion a démarré dans un domaine culturel, la disparition des CD puis des DVD – musique puis films au profit du streaming et de l’abonnement.
La consommation à l’usage séduit, comme le prouve ce sondage Ifop de 2015  : 1 Français sur 2 souhaite consommer plus de produits par abonnement. (61 % chez les jeunes) pour trois raisons :
1/ profiter du renouvellement accéléré des produits et des dernières nouveautés ;
2/ échapper à l’accumulation, antinomique avec la consommation responsable ;
3/ Éviter les charges récurrentes de la propriété.
Les modes de consommation d’antan sont devenus d’autant plus absurdes que depuis peu, de formidables facilités émergent. Les high-tech collaboratives (big data, cloud, réseaux sociaux) et leur plate-forme d’intermédiation favorisent la rencontre entre de multiples offres et des demandes naissantes. Avec en prime non négligeable, ce capital confiance manquant parfois aux marques traditionnelles, sous forme de notations, jugements, étoiles...
Changement radical de paradigme aussi pour des fabricants et autres producteurs de biens de consommation, dont l’usage va être singulièrement optimisé et donc impacté par cette économie collaborative, circulaire, de fonctionnalité…
Et rudes défis pour toutes les directions marketing, dont certaines ont déjà bien intégré le phénomène. Ainsi aux États-Unis, en 2015 selon certaines études, 35 % des sociétés du Global 2000 généreront des revenus grâce à des modèles de services basés sur les abonnements. Le plus souvent en transformant leur chaîne de valeur, notamment en enrichissant ou en transformant leurs produits en services récurrents grâce aux plateformes “product service systems”.

Le client est désormais nécessairement au cœur du système pour caler les offres, les adapter en permanence avec réactivité. L'usage fait la part belle au marketing relationnel et à quelques-uns de ses champions, comme l’Américain Zuora, qui développe pour Général Motors, Schneider Electric, Axa, GDF Suez, Michelin et quelques autres, des outils logiciels pour réaliser cette mutation.
La “valeur client” est un facteur clé notamment dans l'usage vs prossession. Elle est alimentée par les multiples informations et notamment le big data qui  révéle les choix, les goûts, les habitudes du client”Les impacts sur les entreprises sont potentiellement très importants. Si l’on prend les constructeurs d’automobiles, c’est le nombre de véhicules vendus qui sera affecté. Mais la structure de la gamme et les équipements vont également devoir s’adapter aux nouveaux usages. Au-delà, les compagnies d’assurances devront offrir des nouveaux produits… on peut même imaginer que le conducteur soit assuré au lieu du véhicule, ou les deux. Au-delà des impacts, c’est la société et ses mentalités qui sont en train de se transformer. Il n’est plus nécessaire de posséder une chose pour jouir des bénéfices de son usage. Cela remet en cause notre relation à la propriété.
Cette conversion de la transaction à la location est devenue l’exercice obligé de nombreux grands groupes. L’épée dans les reins, car de nouveaux acteurs, plus agiles et parfois bien plus outillés, risquent de leur faire une concurrence s’ils n’opèrent pas cette révolution de la consommation à l’usage.

Nouvelles attentes et nouveaux besoins, nouvelles réponses, nouveaux pricings, nouvelles formes de vente et modes de distribution, etc. Des changements qui (re)placent le client au centre de l’entreprise, et bouleversent par là même toute son organisation. Et qui ne s’arrêtent pas au seul marketing, puisqu’ils viennent également impacter les comptes d’exploitation, les besoins en fonds de roulement, et les plans d’investissement. En d’autres termes, c’est, ici encore, toute une révolution culturelle qui attend les entreprises, grandes et petites, pour répondre à cet instinct de jouissance des nouvelles générations, en lieu et place du besoin de possession des générations antérieures.
Thierry Bardy

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