mardi 11 août 2015

Thierry Bardy "le bonheur en 2030 ?"





















Thierry Bardy - tags ; Le bonheur en 2030, COP, Prospective

On oppose bien souvent deux manières de concevoir le bonheur :
-le bonheur sur le mode de l'Avoir; "être heureux, ce serait avoir tout ce que l'on désire".
-et de l'Etre ; "il s'agit là d'installer en nous les conditions du bonheur". 
Mais on peut aussi dépasser cette opposition et envisager le bonheur comme un Devenir.
Cette dernière conception du bonheur ouvre une réflexion plus dynamique du bonheur, elle y associe philosophique et économie et nous interroge sur le bonheur de notre demain pour qui et avec qui ?.
Avant de nous interroger sur les composantes du bonheur de demain, interrogeons-nous sur les caractéristiques du bonheur d'aujourd'hui voire celles du passé.

Notre définition du bonheur est souvent l'héritage des traditions hédonistes(1) et eudémonistes (2) grecs. Dans la première, le plaisir est le but d’une vie heureuse. Dans la deuxième, le bonheur est  dans la culture des vertus et dans l’accomplissement de soi.
Les psychologues du bonheur ont développé différents concepts pour mieux comprendre le bonheur : bien-être subjectif, bien-être psychologique, bien-être social, bonheur authentique, l'amour et les loisirs font aussi partis des dits concepts ...
S'agissant de la mesure du bonheur, il existe diverses méthodes et théories. Chacune d'elles présentent leurs avantages et leurs limites, l'aspect subjectif et psychologique du bonheur ne favorise pas la création d'un indicateur unique.
En effet, Il n’existe pas aujourd’hui de mesure biologique du bonheur. Les théories des listes, qui identifient le bonheur au fait de posséder une liste de choses comme le confort matériel, la santé, les amis, etc., trouvent aussi leurs détracteurs.
Les données dites objectives ont quant à elles, aussi des limites, c’est vrai du PIB ou du taux d’inflation ou de chômages.

Les caractéristiques psychologiques sont-elles mieux mesurées à leur niveau de signification, le bonheur est un état subjectif conscient; Aussi, le meilleur moyen de le mesurer est donc la conscience. On voit ici toute la difficulté de mesurer le Bonheur. La révolution numérique et celle des usages vont complexifier d'autant la définition de notre bonheur pour demain.
 
Bonheur et croissance économique
Parler du bonheur en 2030 ne peut pas s'envisager sans citer les nombreuses littératures actuelles qui opposent ou corrèlent croissance économique et  bonheur.
Dans la théorie économique traditionnelle, celle défendue par la chercheuse Française Claudia Senik, Professeur d'économie à la Sorbonne " davantage de croissance est synonyme de davantage de bien-être matériel et donc davantage de bonheur". En outre, la chercheuse indique que la croissance économique stricto sensu n'est pas l'unique raison qui explique la  corrélation (3) importante entre croissance et bien être.
Dans les pays développés, cela peut venir de l’Etat-providence qui met à la disposition de tous un certain nombre de biens publics : les routes, l’éducation, l’éclairage, etc.
Mais la croissance moderne produit aussi toute une série de biens publics immatériels: les libertés civiles, les droits individuels, l’égalité hommes-femmes, le pluralisme politique, etc..

Les psychologues mettent en avant encore d’autres raisons. Les revenus ne sont qu’un déterminant parmi d’autres du bonheur. Les personnes plus orientées vers des valeurs extrinsèques, comme l’argent, le pouvoir, le statut, sont souvent moins heureuses que les personnes orientées vers des valeurs intrinsèques, comme le développement personnel, l’intimité et la participation à la communauté.
Enfin, les stratégies de maximisation sont souvent moins propices au bonheur que les stratégies de satisfaction.
A contrario, l'économiste Jean Gadrey, Ouvrage  " s'affranchir du mythe de la croissance et reprendre la main" s'oppose aux théories de la corrélation (3) entre croissance économique et Bonheur. Selon lui, tous les travaux récents montrent que, dans les pays les plus "riches", les indicateurs de développement humain, de bien vivre, de santé, et d'éducation n'ont aucun rapport avec le niveau du PIB par habitant. Les politiques de croissance ne marchent plus, elles ont même crée des effets pervers. Il faut développer des politiques de "civilisation" , d'ailleurs  bien plus riches en emplois.
Jean Gadrey est soutenu par Thomas Piketty et d'autres économistes dans son jugement . Ces derniers estiment que la croissance ne reviendra pas, ou seulement à des taux très faibles. Rien à voir avec ceux des trente glorieuses. De plus, les 2 ou 3 points de croissance ne résoudront pas l'essentiel des défis auxquels les pays riches devront faire face en 2030.Il faut donc renverser la table !!!
La récurrence du bonheur individuel est un autre sujet que nos sociétés seront appelées à considérer ou à résoudre.  Le bonheur croit puis décroit le long d'une courbe en cloche classique.
Plus de 40% de l'humanité vit aujourd'hui  avec moins de 2 dollars par jour dans une terrible pauvreté et survit à grand-peine.
Lorsque les pauvres sortent de la pauvreté, ils commencent à connaitre le bonheur. Mais une fois qu'ils ont atteint un niveau de revenu suffisant pour jouir des éléments de base du confort et vivre en sécurité, leur niveau de bonheur se met à plafonner.
Les travaux de l'économiste britannique Richard Layard "le prix du bonheur -Leçons d'une science nouvelle" a permis de démontrer que le bonheur individuel augmente jusqu'au moment où le revenu individuel moyen atteint environ 20 000 dollars par an; le niveau minimal de confort. Après quoi les hausses de revenus additionnelles ont des retours décroissants sur le niveau du bonheur.
Si la croissance a cette capacité étonnante d’harmoniser le bonheur des citoyens au cours du temps, c’est donc certainement une bonne nouvelle. En France, comme ailleurs, les inégalités dans ce domaine se sont donc réduites durant les temps prospères des Trente Glorieuses. En revanche, en période de récession, le bonheur se retrouve plus inégalement réparti. Bien entendu, d’autres facteurs jouent aussi, notamment les inégalités de revenus. Ainsi, aux Etats-Unis, depuis l’explosion des inégalités de revenus à la fin des années 90, la tendance à l’homogénéisation du bonheur s’est inversée.
Pour conclure, gardons à l'esprit que la pauvreté diminue davantage le bonheur que la richesse ne l’augmente. En d‘autres termes, une augmentation de revenu pour une personne pauvre a davantage de chance d’augmenter son bonheur qu’une augmentation de revenu pour une personne riche pour le sien.
Thierry Bardy

(1)
relatif à l'hédonisme, théorie philosophique qui ne refuse pas le plaisir et évite la douleur
(2) doctrine morale posant comme principe que le bonheur est le but de l'action 
 (3) il faut essayer d’éviter de confondre corrélation et causalité. La corrélation n’est qu’un lien statistique. La causalité est la preuve de l’existence d’un mécanisme.

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