mardi 4 août 2015

Produire et consommer à l’ère de la transition écologique











Entre avril 2013 et avril 2014, l’association Futuribles International a mené une étude prospective visant à examiner les impacts sur les ressources naturelles que pourrait avoir le développement à l’horizon 2030 de modes de production et de consommation aujourd’hui alternatifs.
Cette étude a été motivée par un double constat :
- d’une part, celui, popularisé dans les années 1970 par les travaux du Club de Rome, que la croissance de la consommation matérielle mondiale exerce une pression croissante et à long terme insoutenable sur les ressources naturelles et les écosystèmes ;
- d’autre part, le constat qu’émergent, depuis quelques années, des modes de consommation et de production plus économes des ressources naturelles, mais qui restent aujourd’hui peu développées alors qu’ils sont susceptibles de réduire la consommation de ressources naturelles.

L’étude visait donc à examiner sous quelles conditions des modes de production et de consommation aujourd’hui alternatifs pourraient se développer et quels scénarios globaux pourraient en résulter à l’horizon 2030.

Notre mode de développement actuel est fondé sur une croissance économique continue qui se traduit physiquement par une augmentation de la consommation matérielle et des ponctions sur les ressources naturelles. .
La pérennité de ce modèle de développement est menacée par la raréfaction des ressources naturelles disponibles et par les pollutions générées par les processus de production.
Les projections établies par le PNUE manifestent que la poursuite des tendances actuelles au cours des 30 prochaines années se traduirait par des crises importantes d’accès aux ressources, et par des niveaux de pollution insoutenables.
Des transformations de grande ampleur des modes de production et de consommation sont donc nécessaires. La croissance économique mondiale ne peut être durable qu’au prix d’un découplage absolu avec celle de la consommation de ressources naturelles.

1 pic de consommation en France ?
En 2011, le chercheur anglais Chris Goodall a considéré que le Royaume-Uni avait atteint un « pic de consommation ». En effet, il a observé qu’alors même que la croissance éco-nomique du pays restait positive, sa consommation globale de matières et de certains biens (viande, voitures…) par les ménages diminuait depuis le début des années 2000.
Le Royaume-Uni aurait en quelque sorte expérimenté un découplage « naturel » entre croissance économique et consommation de biens matériels.
Cependant, une analyse plus approfondie invite à relativiser cette conclusion :
- la diminution des indicateurs globaux de consommation de matières de la Grande-Bretagne est en partie liée aux délocalisations à l’étranger de productions dont les consommations de matières sont très imparfaitement prises en compte par les outils statistiques existant ;
- la baisse de consommation observée pour certains biens peut être compensée par des hausses pour d’autres biens.
Un pic de consommation peut-il s’observer en France ? Pour le savoir, une analyse approfondie des évolutions de la consommation en France a été réalisée.

Depuis 1960, d’après la comptabilité nationale de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), la consommation des ménages français a été multipliée par 4,5 en volume monétaire (quantités exprimées en millions d’euros 2005).
Des pics de consommation ont pu être observés pour la certains biens comme la viande, le tabac, les carburants, les automobiles, les journaux… Ces pics peuvent être pour certains déjà anciens (10 ans ou plus) et relever de moteurs très différents : évolution des modes de vie, saturation des équipements, progrès technique…
Cependant, ces pics s’accompagnent très souvent de phénomènes de substitution entre les biens consommés. Par exemple, la consommation de viande par personne a tendance à diminuer en France, mais cette baisse a été compensée (en termes de calories) par une hausse de la consommation d’autres aliments, notamment les produits d’origine animale (oeufs, produits laitiers…).
Globalement, la France se caractérise donc par une croissance continue de la consommation matérielle. Et des indicateurs comme l’analyse du cycle de vie révèlent qu’en dépit des progrès techniques, la fabrication, l’utilisation et la fin de vie des biens de consommation entraînent une utilisation toujours plus importante de ressources non renouvelables..
100 pratiques innovantes pour la production et la consommation
À l’ombre des modèles de production et de consommation dominants au niveau mondial se multiplient des initiatives contribuant à construire des modèles plus sobres en ressources.
Ces initiatives peuvent exister depuis des dizaines d’années ou, au contraire, être très récentes. Elles peuvent être portées par des multinationales, des associations ou de simples consommateurs. Elles peuvent nécessiter des investissements de plusieurs millions d’euros ou une simple évolution des pratiques de consommation. Mais toutes ces initiatives pourraient théoriquement être développées en France et permettre une réduction plus ou moins importante de la consommation de ressources ou des pollutions.
100 initiatives ont été repérées à l’échelle internationale et ont fait l’objet d’une courte fiche, regroupées dans un catalogue.
10 leviers pour une consommation et une production durables
À partir de ces initiatives, 10 familles d’innovation qui sont autant de leviers de réduction de la consommation de ressources ont été identifiées.
Ces leviers peuvent relever du champ de la production ou de la consommation, et faire appel à différents acteurs et outils. Chacun de ces leviers a donné lieu à une note d’analyse prospective suivant un modèle harmonisé.
Pour chacun de ces leviers, une innovation particulière a fait l’objet d’une analyse approfondie. Le potentiel de développement de cette innovation et son impact environnemental ont été étudiés.
Puis les moteurs et les freins au développement de la famille d’innovations sont identifiés, et une évaluation de son potentiel de développement, en France ou dans le monde, à l’horizon 2030 est proposée. Enfin, leur impact environnemental (ressources et externalités) est étudié.
1) Des processus de production réduisant les consommations de matières
2) La substitution de ressources rares par des ressources renouvelables ou abondantes
3) L’économie de fonctionnalité
4) Le réemploi et la réparation
5) La location entre particuliers
6) La valorisation de la fin de vie des produits
7) Des initiatives favorisant l’économie circulaire
8) Les circuits de proximité
9) Des systèmes d’information pour optimiser l’utilisation de ressources / réduire les gaspillages
10) Des incitations publiques à la réduction de la consommation de ressources

4 scénarios pour produire et consommer autrement en 2030
Les différents résultats de l’étude ont permis d’envisager quatre scénarios pour la consommation en France à l’horizon 2030, et les évolutions associées des modes de production.
Ces scénarios résultent d’une mise en cohérence de l’ensemble des leviers, des tendances et des incertitudes identifiés au cours de l’étude. Ils tiennent compte, en particulier, des incompatibilités entre certains de ces leviers, des comportements des consommateurs et des effets rebond, des changements des modalités de production, des actions publiques, etc.
Ils sont construits par des changements d’échelle de certaines pratiques déjà existantes, mais minoritaires, qui se développent à des ampleurs différentes dans chacun des scénarios.
- « Consomouv’ » est un scénario tendanciel fondé sur le prolongement des tendances passées ; de rupture majeure)
- « Consomalin » envisage une généralisation des pratiques de consommation relevant du partage et de la mutualisation ;
- « Consophistication » part du principe que l’appétit pour la nouveauté ne faiblit pas, mais que le modèle de l’économie de fonctionnalité, reposant sur la location de biens plutôt que sur la vente de biens neufs se diffuse largement ;
- « Consobriété » décrit la mise en place d’un nouveau modèle économique basé sur le recyclage et l’économie circulaire.

Scénario 1 : Consomouv’, du nouveau et du neuf à tout prix
Il s’agit du scénario tendanciel, basé sur la prolongation des tendances passées. Il envisage :
• Une croissance économique molle
• Une diversification des pratiques de consommation mais une hausse globale du volume de consommation
• Un maintien des logiques d’optimisation de la production et de limitation des gaspillages
• Mais pas de remise en cause de l’économie linéaire
• Une politique publique basée sur l’information et la sensibilisation des consommateurs et des producteurs

Scénario 2 : Consomalin, du nouveau mais pas du neuf
Ce scénario envisage une généralisation en termes de publics et de biens des pratiques de consommation relevant du partage et de la mutualisation. Il envisage :
• Un maintien de l’attrait pour la consommation et la nouveauté
• Mais une hausse du coût des matières premières et un contexte économique tendu
• Une généralisation des pratiques de débrouille, de mutualisation, d’échange
• Accompagnée par les entreprises qui investissent l’ensemble du cycle de vie des produits
• Elles vendent des biens plus réparables et multiplient les services après-vente
• Ces pratiques sont encouragées et facilitées par l’État et les collectivités locales

Scénario 3 : Consophistication, du nouveau et du renouvellement
Ce scénario imagine une diffusion progressive du modèle de l’économie de fonctionnalité, reposant sur la location de biens plutôt que sur la vente de biens neufs. Il envisage :
• Un maintien de l’attrait pour la nouveauté et le renouvellement
• Mais une hausse très forte du coût des matières premières et des biens
• Couplée à une politique d’incitation par les prix pour favoriser les ressources renouvelables
• Les entreprises proposent des forfaits de location des biens durables
• Elles restent propriétaires, se chargent de l’entretien et de la récupération en fin de vie
• Le principe de satisfaction des besoins s’étend à l’alimentation, au logement, à l’énergie…

Scénario 4 : Consobriété, du nouveau, mais renouvelable
Ce scénario décrit la mise en place d’un nouveau modèle économique basé sur le recyclage et l’économie circulaire. Il envisage :
• Le coût des matières premières explose, les pénuries et crises sanitaires se multiplient
• Une stratégie européenne vise à favoriser les ressources renouvelables et le recyclage
• Les modes de production se réorganisent, les partenariats et les filières de recyclage se multiplient
• Une première phase de sobriété contrainte pour les consommations
• Puis stabilisation et rentabilisation des nouveaux modes de production
• Mais dualisation de l’offre et des pratiques (biens simples et recyclables / biens complexes, peu recyclables)


4 enseignements
 Les modes de consommation actuels peuvent se maintenir à l’horizon 2030…
 …Mais ils auraient des impacts insoutenables sur les ressources et les écosystèmes
 Les modes de consommation et de production alternatifs peuvent être porteurs de nouveaux modèles de développement plus respectueux des écosystèmes.
 Les leviers de ces changements d’échelle peuvent être économiques (prix des matières premières, croissance économique en berne), politiques (action des pouvoirs publics), ou sociales (volonté collective forte).
1 veille sur les tendances émergentes de consommation
Afin de prolonger les réflexions de l’étude, Futuribles International lance Vigie consom-mation, un programme de veille et d’analyse consacré à l’évolution des modes de consommation en France. Ce dispositif permet d’étudier les tendances lourdes en matière de consommation, ainsi que de repérer et d’analyser l’émergence de pratiques et de nouveaux modes de consommation, en s’interrogeant sur leurs conditions de diffusion et de pérennisation. Un accent particulier est mis sur les pratiques permettant de réduire la consommation de ressources et les impacts environnementaux.

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