vendredi 5 avril 2013

Ecoles d’ingénieurs et de commerces mêmes combats



Pourquoi exige-t-on aujourd’hui des ingénieurs centraliens la même culture du client que ce qui est attendu des étudiants de l’ESSEC ou d’HEC ? Qu’est-ce qui fait que, aujourd’hui, la connaissance du marché est devenue nécessaire à tous les acteurs de l’entreprise, y compris ceux dont la fonction et la formation ne les prédispose pas à des responsabilités commerciales ? Pourquoi une compétence purement technique est-elle désormais considérée comme insuffisante quand on aspire à jouer un rôle dans des projets d’innovation ? Voici des questions que j’ai été amené à me poser lorsque, il y a quelques jours, j’intervenais en tant que Jury pour un cours d’innovation à l’Ecole Centrale Paris.

Droits d’auteurs: “ignite-myimagination”
De fait, j’ai trouvé que les membres du jury étaient relativement exigeants avec les étudiants de Centrale, notamment sur tout ce qui touche au marketing, à l’étude du marché, et à la compréhension des besoins des consommateurs. Un membre du Jury m’a indiqué qu’il avait été étudiant à Centrale il y a une trentaine d’années et qu’il avait gardé le souvenir d’une formation extrêmement technique. Il s’agit donc d’une exigence relativement nouvelle. Mais, pourquoi attend-on aujourd’hui que les ingénieurs de Centrale soient compétents aussi bien en termes techniques qu’en termes de marketing ? Pourquoi ce changement d’exigence ?
En réalité, cette exigence nouvelle de Centrale vis-à-vis de ses étudiants est le résultat d’une profonde mutation économique. Car, en effet, en l’espace de 60 ans, nous sommes passés d’un cycle d’équipement à un cycle de renouvellement et enfin, à un cycle d’innovation. Voici comment :
  • A la libération, la France était avant tout dans une problématique d’équipement. Chacun cherchait à s’acheter une voiture et l’essentiel des efforts portait sur la production de biens en nombre suffisant pour répondre à la demande.
  • Ensuite, une fois que chacun était équipé, nous sommes passés à un cycle de renouvellement. Car, au bout d’une dizaine d’années, il faut bien remplacer tels ou tels objets qui, ayant rendu de bons services pendant de longues années, s’avèrent désormais usés et ne fonctionnent plus très bien.
  • Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans une problématique d’équipement ou de renouvellement. En effet, nous remplaçons nos voitures, nos Smartphones, et autres objets, bien avant qu’ils soient hors d’usage ! Imaginez-vous, par exemple, que les Français changent leurs Smartphones tous les 18 mois, en moyenne ! Aux Etats-Unis, les consommateurs changent de voiture en moyenne tous les trois ans, alors même que les voitures actuelles fonctionnent très bien sur des durées beaucoup plus longues… En réalité, nous ne nous contentons plus de renouvellement; nous désirons sans cesse du nouveau. Nous sommes entrée dans un cycle d’innovation.
En effet, pour continuer à croître, les entreprises doivent inventer de nouveaux produits et créer, de la sorte, de nouvelle sources de revenus. Songez qu’une entreprise comme P&G qui fait $80 milliards de CA doit chercher 5% de croissance organique par an! Autrement dit, $4 milliards de CA doit venir de produits nouveaux. Ceci montre à quel point l’innovation est aujourd’hui indispensable à la croissance des grandes entreprises, et au maintien de son cours en bourse.
Or, réussir l’innovation passe nécessairement par une connaissance du marché et par une culture du client. Innover, ce n’est pas inventer une nouvelle technologie; innover, c’est inventer quelque chose de nouveau que des consommateurs sont prêts à acheter. Autrement dit, l’innovation, c’est une invention qui rencontre un marché. De là, on comprend que les nouvelles exigences de Centrale paraissent légitimes…
Néanmoins, à titre personnel, je pense que pour aider les étudiants centraliens à mieux réussir leur projet d’innovation, la clé réside dans une culture plus fine du marketing, c’est vrai; mais aussi, et surtout dans la composition de l’équipe. Pour ma part, je crois beaucoup dans la multidisciplinarité. Car, c’est aussi cela qu’il manque dans la façon qu’on a d’innover en France : il manque cette habitude de la fertilisation croisée entre des profils différents disposant de compétences différentes ayant une formation différente et une perspective de l’entreprise différente.
Ainsi, de profondes mutations économiques font que désormais la culture du client s’avère indispensable pour tous. Ceci modifie les exigences du décisionnaire vis-à-vis des membres de son équipe et, devrait inciter à changer notre façon de composer des équipes projets. Vive la fertilisation croisée!
La semaine prochaine, j’évoquerai, de façon plus pragmatique et opérationnelle, en quoi la théorie des “tâches à accomplir” dont j’ai parlé la semaine dernière, peut être utile à nos étudiants innovateurs de Centrale. Je m’appuyerai sur un cas précis.
Et vous, comment pensez-vous que nous pourrions aider nos ingénieurs à innover?

Lectures complémentaires:
  • Pour une discussion sur la pression qu’il y a à innover aujourd’hui, veuillez vous référer à Clayton Christensen, The Innovator’s Solution, chapitre 1
  • Pour une discussion sur la nécessité d’intégrer l’innovation dans la stratégie de croissance notamment chez P&G et Citigroup, veuillez vous référer à Scott Anthony & David Ducan, Building a Growth Factory, Introduction.

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