lundi 2 juin 2014

"Notre cerveau, générateur d'idées créatrices"

Thierry Bardy : tags ; psychologie cognitive, créativité , intelligence collective ...

Le monde de demain selon Mathieu Cassotti Chercheur en psychologie cognitive

le 3 avril 2014, au Festival des ATELIERS du Quartier de la création, à Nantes

Le monde de demain selon eux


« "Les chercheurs, les créateurs sont bloqués sur un nombre limité de solutions et d'alternatives car ils sont fixés sur des modes de raisonnement intuitifs. Il faut revenir à une logique d'exploration de l'inconnu."
Mathieu Cassotti est chercheur en psychologie cognitive au Laboratoire de Psychologie du Développement & de l’Education de l’Enfant (Université Paris-Descartes/CNRS).

Dans le cadre du Festival des ATELIERS du Quartier de la création Mathieu Cassotti  donnait une conférence intitulée
"Notre cerveau, générateur d'idées créatrices". Nous l'avons interrogé sur le processus de créativité et sur ses recherches neuroscientifiques.


Vous travaillez depuis plusieurs années sur le sujet de la créativité. Quel a été votre angle de recherche?
J'ai commencé à travailler sur la question de la prise de décision, en me fondant sur les recherches de Daniel Kahneman, seul psychologue à avoir reçu le prix Nobel. Celui-ci a prouvé que les individus ne prenaient pas de décisions rationnelles mais raisonnaient à partir d'heuristiques de jugement, c'est-à-dire des réflexes de raisonnement. Non seulement les sujets se trompent, mais ils se trompent tous de la même manière. Il en va de même pour la création.

Nous sommes en effet partis d'un constat: de nombreux secteurs sont en panne d'innovation. C'est l'idée d'innovation orpheline qu'a développée Marina Agogue dans un ouvrage publié en 2013. Pourtant, on donne beaucoup d'argent à la recherche, on a des gens extrêmement motivés, et il s'agit pour certains sujets d'enjeux de société importants. Par exemple, la sécurité des deux roues représente un enjeu sociétal, de gros budgets y sont consacrés, de nombreuses associations et institutions y travaillent, et pourtant rien ne change au niveau de l'accidentologie. Alors on s'est interrogé sur les causes de ce blocage de l'innovation : peut-être n'est-il pas simplement d'ordre institutionnel ou économique, mais relève-t-il davantage du domaine cognitif ? Les chercheurs, les créateurs sont bloqués sur un nombre limité de solutions et d'alternatives car ils sont fixés sur des modes de raisonnement intuitifs, alors qu'il faut explorer d'autres processus.

L'intuition n'est donc pas suffisante pour être créatif?
Pendant des années, on a considéré que la créativité n'avait rien à voir avec le raisonnement mais qu'elle relevait de l'intuition seule. Les neurosciences sont arrivées et ont mis un coup de pied à cette idée reçue. On a constaté grâce aux techniques d'IRM, que quelqu'un qui est en train de générer des idées originales active la partie frontale de son cerveau, c'est-à-dire le cerveau de contrôle, celui qui permet de réguler des réponses intuitives ou impulsives. Nos recherches ont établi que ce cortex préfontal n'était pas mis au repos pendant le processus créatif, contrairement à ce qui était dit dans le passé, mais qu'au contraire il demeurait actif. L'intuition, seule, conduit à des pièges et des blocages.

Concrètement, comment êtes-vous parvenu à ces résultats?
On a dû passer par l'expérimentation et opérationnaliser les tests en laboratoire. Il y a par exemple ce test intéressant que l'on a proposé à de nombreux sujets. On lâche un œuf de dix mètres de haut et il faut trouver une solution originale afin qu'il ne se casse pas. Les ingénieurs et les designers ont tous suivi une réflexion similaire - ralentir la chute, protéger l'oeuf - pour arriver à une solution commune : attacher l'oeuf à un parachute. Aucun n'a envisagé de jouer sur les propriétés de résistance de l'oeuf lui-même. Or il suffirait de le congeler, ou de le plonger dans le vinaigre par exemple, pour modifier sa résistance et faire en sorte qu'il ne se casse pas. Mais non, tous sont restés bloqués sur l'idée que l'oeuf était fragile.

Quel est donc le secret pour améliorer nos facultés d'innovations?
Il faut revenir à une logique d'exploration de l'inconnu. Si l'on veut réfléchir à une chaise, par exemple, tout le monde sait qu'elle doit avoir des pieds pour tenir debout. Cela signifie-t-il qu'on ne peut pas envisager une chaise sans pied?En étendant le concept, en explorant de nouvelles pistes, on peut proposer quelque chose qui sort de l'existant. Par exemple, un ruban qui maintient les jambes et permet une position confortable, avec un dos bien soutenu. On peut ainsi redéfinir le concept même d'une chaise à partir de l'exploration.

Il faut donc raisonner "out of the box" pour être créatif ?
Les innovations de rupture nécessitent de prendre conscience de toutes les idées dominantes, de se rendre compte que l'on est focalisé sur une voix unique afin de pouvoir mettre de côté toutes ces fixations. Et de pouvoir aller explorer ailleurs. Aller "out of the box", en effet. Un certain nombre de créateurs ne se rendent même pas compte qu'ils proposent tous les mêmes idées ou solutions, et qu'ils sont enfermés.

Cela peut avoir des conséquences sur l'apprentissage à l'école?
Absolument! On s'est rendu compte que de nombreuses acquisitions scolaires reposaient davantage sur les fonctions exécutives que sur la capacité des enfants à activer une certaine logique. Or "désapprendre" est toujours plus intéressant que "sur-apprendre". Prenons l'exemple d'un cours de français. Lorsqu'ils écrivent la phrase "je les mange", tous les enfants mettent un S à "mange", parce qu'ils ont appris qu'un nom commun qui suit un "les" doit être conjugué au pluriel. Plutôt que de leur apprendre la règle de grammaire, il faut simplement leur expliquer qu'il y a un piège dans la règle générale, et qu'ils doivent se méfier.
Mais cela va plus loin. Souvenez-vous du crash de la navette Challenger : les ingénieurs estimaient que le climat en Floride était doux, et ils n'ont donc jamais fait de tests à températures faibles sur certains éléments techniques de la navette (comme certains joints par exemple). Or ce sont justement ces joints qui se sont avérés défaillants : ils se sont fondés sur un comportement intuitif, lié à des idées reçues ou des stéréotypes...

Quel a été votre dernier effet Whaouh?
Je suis toujours stupéfait lorsque des enfants proposent des solutions auxquelles les adultes, même les plus expérimentés, n'auraient pas songé. Pour le test de l'oeuf par exemple, les adolescents que nous avons interrogé ont donné plus de réponses que les designers ou les ingénieurs. Ils ont une meilleure résistance à l'effet de fixation.



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