lundi 19 octobre 2015

Thierry Bardy - la cuisine à l'algorithme

Contribution à la réflexion du Club Open Prospective 

ROBOTS, IA ET IMPRESSION 3D, À QUOI RESSEMBLERA LA CUISINE DU FUTUR ?

Les nouvelles technologies commencent à débarquer dans nos cuisines. Des robots chefs, des drones serveurs, des imprimantes 3D qui « fabriquent » des aliments de toutes pièces, les initiatives se multiplient. Mais vers où se dirige-t-on vraiment ?.


Nous sommes en 2020, ou disons plutôt 2030. Laissons-nous aller à imaginer la cuisine ou le restaurant du futur : le client s'installe à une table, dans un environnement très épuré, high-tech. Les cartes apparaissent devant lui en hologramme, grâce à la réalité augmentée. Lorsque le serveur arrive pour prendre sa commande, il entend un léger vrombissement, presque imperceptible. Oui, les drones ont fait des progrès considérables et sont (presque) silencieux. Ce sont ces petits aéronefs qui lui apporteront ses plats, une « façon de rendre le travail en salle moins fatiguant » lui explique le serveur. En cuisine, les deux chefs ont des assistants bien particuliers. Alors que l'intelligence artificielle qui les a aidés à élaborer la carte qui a valu sa deuxième étoile au restaurant est désactivée pendant le service, plusieurs robots ont maintenant pris le relais. Grâce à un système de reconnaissance vocale et de fonction miroir, ils répètent les gestes des cuisiniers pour pouvoir envoyer les assiettes le plus rapidement possible. Niveau dessert, une boite s'active près des frigos : une imprimante 3D. Particulièrement élaborée, elle fonctionne beaucoup plus rapidement que les premiers prototypes qui sont arrivés sur le marché en 2015. La condition sine qua non pour une commercialisation massive a donc été respectée : elle fait gagner du temps...

Une telle histoire appartient-elle au domaine de la science-fiction ? Revenons maintenant en cette fin d'année 2015, où les innovations dans l'agroalimentaire ont été au coeur de toutes les attentions high-tech ces douze derniers mois.

Le service par drones ?

L'expérience a déjà été tentée il y a peu, à Singapour. Les clients du music bar et restaurant Timbre@The Substation peuvent assister depuis quelques mois à un étrange ballet aérien : une flotte de petits quadricoptères est présente pour assister les serveurs. Développés par l'entreprise locale Infinium Robotics, ils sont capables de porter en totale autonomie de la vaisselle, des plats ou des boissons, de la cuisine à la salle. Attention, le but n'est pas (pour l'instant) de remplacer la main d'oeuvre humaine. Les drones ne vont pas jusqu'aux tables des clients mais sont déployés pour éviter aux serveurs d'avoir à parcourir une distance trop importante pendant leur service. Les aéronefs font la navette entre la cuisine et un point spécifique de la salle, où une personne en chair et en os prend alors le relais pour l'interaction directe avec les clients.







 



L'intelligence artificielle dans les cuisines ?

Il n'y a qu'à s'intéresser à ce que peut déjà faire Chef Watson, pourtant au tout début de son développement. Concernant la robotique, plusieurs initiatives ont vu le jour, montrant avec une quasi-certitude que les robots seront aptes d'ici quelques années à entrer de manière efficace dans les cuisines. Ainsi la DARPA, l'Agence pour les projets de recherche avancée et défense aux Etats-Unis, a monté une équipe de chercheurs à l'université du Maryland, afin d'élaborer une nouvelle génération de robots à intelligence cognitive, capable d'apprendre et d'enregistrer des tâches uniquement en visionnant des vidéos. A partir de tutoriels YouTube, le « cuisinier mécanique » a pu sélectionner les ustensiles et les ingrédients dont il avait besoin et les utiliser avec précision. Le robot le plus élaboré est peut-être celui développé par Moley Robotics et Shadow Robot après plus de vingt ans de R&D. Formé de deux bras mécaniques, il reproduit de manière très précise les gestes qui lui ont été appris au préalable et peut refaire ainsi plusieurs centaines de recettes.









L'impression 3D ?

L'impression 3D dans l'agroalimentaire à destination du grand public n'en est qu'à ses balbutiements et pourtant une certaine concurrence commence à apparaître entre les différentes startups qui s'intéressent au concept. On peut citer Foodini en Espagne, la ChefJet de 3D Systems dans la Silicon Valley, PancakeBot qui est né sur Kickstarter, Choc Edge en Angleterre, ou encore Bocusini en Allemagne (lancé via le crowdfunding également).

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le mode de fonctionnement d'une imprimante 3D alimentaire est relativement simple. « Pour fonctionner, elle a besoin d'un fichier informatique avec un dessin 3D, et de matière, souvent liquide ou en poudre, contenue dans des cartouches. Le reste se fait par dépôt de couches successives » explique Bertrand Busson, cofondateur de la société wiShape. C'est donc dans les desserts que pour l'instant ces imprimantes 3D sont les plus performantes. La PancakeBot par exemple, n'est finalement constituée que d'une « simple » seringue remplie de pâte à crêpes, qu'elle relâche sur une plaque chauffante en suivant un dessin précis. Le travail sur le chocolat, bien qu'utilisant une technique similaire, propose quant à lui des réalisations qui laissent plus facilement imaginer le potentiel de l'impression 3D, comme on peut le voir par exemple dans les réalisations de l'école de design culinaire de Reims (ESAD-Reims) :



 






Pour David Desrousseaux, fondateur de la toute jeune entreprise Koppaz, l'impression 3D, surtout dans l'alimentaire, reste aujourd'hui dans sa grande majorité que la réappropriation marketing d'une technique inventée au début des années 1980. « Rares sont les machines qui font réellement de l'impression 3D et pas seulement du moulage. On peut citer par exemple les cubes en sucre de 3D Systems. Ils sont créés à partir de rien, par une succession de couches de poudre collées entre-elles par une solution et qui permettent un assemblage 3D. »




 




Le grand défi sera maintenant de parvenir à diminuer le temps de fabrication. Pour pouvoir s'imposer auprès du grand public, ou même dans les cuisines des professionnels ou des industriels, une machine doit pouvoir imprimer un plat en 3D en un temps record, afin de faciliter le processus de préparation. « Il faudrait également que les grands groupes électroménagers s'y mettent. Ce serait une bonne façon de démocratiser les usages. Pour l'instant on est dans une approche complètement B2B, les rares qui se sont essayés au B2C se sont cassés les dents » précise Bertrand Busson.

Selon David Desrousseaux, « les contraintes techniques sont encore trop importantes pour pouvoir imaginer une commercialisation de masse, sans oublier les impératifs sanitaires ». L'impression 3D alimentaire ne permet pas pour l'instant de créer des produits en série et s'axe surtout sur une customisation précise. « Ce qui semble adapté presque exclusivement à l'événementielle, en démonstration.» 

Aujourd'hui, deux « grands » se sont particulièrement intéressés à la question. Ils sont tous les deux aux Etats-Unis : le MIT et la NASA. Pour Bertrand Busson, c'est le MIT qui « occupe la première place sur le podium de l'impression 3D ». Notamment grâce à des machines à la pointe de la technologie et encore inégalées. Concernant l'agence spatiale américaine, l'impression 3D culinaire prend un tout autre enjeu : celui de parvenir à nourrir plus facilement les astronautes envoyés dans l'espace, en économisant les ingrédients et sans produire de déchets. Elle avait d'ailleurs fait les gros titres outre-Atlantique grâce à sa pizza en 3D...

Même si le concept est prometteur, il faudra donc attendre encore plusieurs années avant de voir des plats imprimés dans nos assiettes. Il sera nécessaire d'accélérer les méthodes de fabrication, diminuer les coûts pour rendre le processus rentable, et comme pour chaque innovation technologique arrivant à destination du grand public, attendre les législations qui l'encadreront.

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