vendredi 31 octobre 2014

Management: cinq idées reçues qui ont la vie dure

Management: cinq idées reçues qui ont la vie dure


Recruter des profils similaires, capitaliser sur ses points forts... Ces "archaïsmes managériaux" sont à revoir, selon Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France . Car la clef de l'évolution est dans la diversité. 

 
Vouloir coller parfaitement à un modèle idéal préétabli est une vue universaliste des choses qui nie les contraintes mouvantes et nos capacités à y répondre en innovant. Car l'homme est l'espèce qui a la plus grande plasticité comportementale, physique et cognitive. D'où l'importance pour un manager de dépasser les clichés du "bien agir" qui figent les comportements et freinent l'élan créatif et adaptatif. 

 

 

Idée reçue n° 1 : "On ne change pas une équipe qui gagne"

Faux. Il faut la changer pour avoir les meilleures chances de gagner le coup d'après. Plutôt que de renouveler les acteurs, il s'agit avant tout de transformer les manières de faire au sein du collectif afin de créer de la diversité, de la singularité. C'est la "variation", l'un des facteurs clés de l'innovation darwinienne. Les gènes mutent, se recombinent sans intention ni projet si ce n'est la survie de l'espèce. Ce qui, après sélection, génère des caractères nouveaux dans la population donnée.
Dans l'équipe, casser les routines, réaffecter le leadership, recomposer les compétences selon la stratégie retenue permettra à chacun d'exprimer son potentiel et de résister à l'adversaire et/ou à l'adversité.

Idée reçue n°2 : "Il faut capitaliser sur ses points forts"

Faux. Là aussi, il est bon pour l'individu ou l'entreprise de tenter autre chose. Ne développer que ce qu'ils savent déjà faire les conduit à se scléroser, à saturer leur environnement (entourage, marché) et à se laisser dépasser par des compétiteurs. L'un et l'autre doivent être capables de proposer des schémas neufs et de cultiver divers talents - sans renier leurs atouts premiers -, en se bousculant. Dans les lignées du vivant (plantes, animaux, hominoïdes), des branches nouvelles ont ainsi émergé jusqu'à parfois supplanter les anciennes parce que de son côté l'environnement avait, lui aussi, changé. Exemples en économie : Kodak focalisé sur l'argentique loupant le virage du numérique et qui se meurt alors que PSA, se diversifie en lançant sa marque de luxe DS qui bourgeonne déjà en Chine.

 

Idée reçue n°3 : "Recruter les mêmes profils est gage d'efficacité"

Faux. Ce réflexe se base sur le principe d'homogamie, le choix d'un conjoint qui appartient au même groupe social ou équivalent au sien. Le manager présuppose qu'un collaborateur décalqué du précédent sera aussi performant. Il s'appuie sur ce que les évolutionnistes appellent "les causes proximales", celles liées à un environnement stable et à une structure qui marche bien. Le candidat saura dès lors s'intégrer et réussir dans l'entité quitte à s'ajuster par à-coups. Cependant il ne sera adapté au job que pour une partie de ses compétences et de son histoire. Aux moindres crises et projets innovants il sera démuni. Le manager doit considérer les "causes ultimes", celles qui englobent tous les facteurs qui dans le passé ont renforcé l'espèce. Dans le cas du postulant, ce sera sa formation atypique, son expérience multiforme et son potentiel au delà du savoir faire immédiat.

 

Idée reçue n°4 : " Le mérite doit être récompensé"

Vrai et faux. L'évolution n'implique pas forcément sélection féroce et élimination des concurrents. Il y a aussi de l'entraide et de l'interdépendance dans un écosystème. C'est vrai aussi dans la construction d'une carrière. Or le mérite quand il sous-entend de l'individualisme et un certain stakhanovisme empêche les autres de s'épanouir. Pour Darwin, ce n'est pas la personne isolée qui s'adapte mais le groupe. La façon dont le méritant a fait émerger la réussite collective (idées, énergie, coopération, encouragements...) doit faire partie des critères de reconnaissance.

Idée reçue n°5 : " Garder l'exclusivité permet d'avancer plus vite"

Faux. Une espèce ou un individu n'évolue jamais seul, il est dans une dynamique de coévolution. Chacun profite de l'écosystème et contribue à son équilibre selon les lois de l'interaction ou de "l'altruisme intéressé". Les abeilles butinent et assurent la pollinisation des fleurs. Les chauves-souris vampires donnent un peu du sang de leur proie à leurs congénères affamés après une mauvaise chasse, se garantissant ainsi de l'aide en retour en cas de pareille mésaventure. Le dirigeant doit accorder plus de place à l'échange, au partage, à la collaboration intra ou interentreprises. Vouloir conserver une idée, un savoir, un élément brillant, c'est tuer la créativité de l'entité et son développement.

L'anthropologie nous apprend que l'isolationnisme est l'avant-dernière étape avant l'extinction. On vit mieux avec des concurrents qu'en l'absence de concurrents.
(1) Egalement expert APM, il est l'auteur de "Un paléoanthropologue dans l'entreprise", Eyrolles, 2011

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