mercredi 11 avril 2018

l'usine numérique ou 4.0



L'usine du futur s'est plus diffusée dans les médias que dans la réalité. Rares sont les usines totalement numériques, et les démarches entreprises peinent parfois à remplir leurs promesses. La raison : un manque de réalisme et de méthode qui laisse place aux mirages.
Première croyance : il suffirait de fournir des données à un logiciel d'intelligence artificielle sans comprendre ce qu'elles signifient, pour obtenir des résultats. Ces technologies sont utiles pour des tâches impossibles à modéliser, comme doter l'ordinateur des cinq sens (analyse d'images, de bruits...). Mais elles doivent être associées à une expertise industrielle et à une modélisation physique des machines ou des processus.

C'est une différence de taille avec le monde de l'internet grand public : le consommateur est impossible à modéliser et 90 % de recommandations d'achat pertinentes satisfera une librairie en ligne. Un crash tous les dix décollages pour une compagnie aérienne serait une catastrophe.
Deuxième croyance magique : le big data. Investissez et vous verrez surgir la valeur des données. Pour garantir une rentabilité, il faut au contraire identifier où les leviers de valeur technologiques (prototypage accéléré avec l'impression 3D, puissance de calcul grâce au cloud, automatisation de l'analyse de données, méthodes agiles,...) seront utiles, puis trouver un chemin rentable pour réaliser cette valeur. Certaines données sont trop coûteuses à collecter. D'autres seront collectées et traitées au niveau de la machine plutôt que stockées.
Autre mythe : les compétences dans les matériaux ou les processus, seraient dévalorisées par le numérique. Dans l'industrie, ces compétences traditionnelles représenteront toujours 90 % de la valeur ajoutée. Les entreprises qui peineront à être performantes sur les 10 % restant seront anéanties par leurs concurrents. Mais il en ira de même pour celles qui délaisseront les premiers 90 %.
Quatrième erreur : sous-investir dans l'intelligence naturelle. Dans de nombreux accidents d'avion, les circonstances - météorologiques, de fatigue ou de stress - font que le pilote ne peut plus absorber les informations fournies par le système. Ces problèmes sont connus dans l'aéronautique, la santé ou les transports. Mais les méthodes pour les résoudre sont ignorées de ceux trop focalisés sur les promesses de l'usine de demain pour se soucier qu'elle fonctionne dans le monde présent !
A l'inverse, des technologies éprouvées donnent des résultats intéressants :
o Impression 3D pour la production ou le prototypage. Elle permet de remplacer un nombre croissant de pièces complexes ou soumises à des contraintes d'approvisionnement ;
o Maintenance prédictive pour réduire les arrêts de production, basée sur l'expertise métier et l'analyse de « signaux faibles » permettant de réparer une machine avant qu'elle ne tombe en panne ;
o Optimisation de la production, par exemple pour réduire de moitié les rebuts dans un site réalisant la découpe de tubes ;
o « Digital Lean » pour améliorer la production. C'est une révolution pour les spécialistes du domaine, qui privilégiaient le papier et le crayon pour libérer les ouvriers de la rigidité des systèmes de production d'ancienne génération ;
o « jumeaux numériques », à partir de données de fabrication et d'utilisation pour suivre l'état précis d'une machine (usure des pièces, performance,...) sans devoir arrêter l'équipement pour l'inspecter ;
Cette diversité dévoile le cinquième défi : que l'ensemble d'un système de production tire les bénéfices de technologies nouvelles, d'une multitude de façons dont la plupart ne seront visibles qu'au plus près du client ou du site de production.
C'est là le défi principal pour les dirigeants : il s'agit moins d'arbitrer des projets ou de proposer une vision détaillée, que de poser des principes d'architecture, d'outiller et d'inspirer leur organisation. Pour que cette transformation se fasse, en grande partie sans eux.
Vincent Champain est cadre dirigeant et président de l'Observatoire du long terme

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