Pour mieux comprendre la fracture qui peut exister entre le monde
des affaires et celui de la recherche - et identifier des solutions pour
améliorer leurs interactions - ESSEC Knowledge a demandé l'avis de Nicolas
Glady, Professeur de marketing à l'ESSEC Business School, et de Yassine El
Ouarzazi, Marketing Sciences Manager chez Mars Inc., qui collaborent
actuellement au sein de BARI.
Quelles soient recueillies par le biais des réseaux sociaux, des transactions
en ligne ou d’objets connectés, les entreprises ont aujourd'hui accès à une
quantité sans précédent de données concernant le comportement de leurs clients.
Mais avant que ces informations ne puissent servir les objectifs de
l’entreprise, le vrai défi pour les managers est d'identifier et de développer
les méthodes pour les analyser.
De nombreux chercheurs académiques font de l’analyse statistique de ces « Big Data » leur principal domaine de recherche, en développant des nouvelles méthodes de modélisation et de prévision du comportement des consommateurs.
De leur coté, les entreprises sont en demande d’outils d’analyse et de prospective de ces nouveaux moyens de consommations. Néanmoins, pour de nombreux professionnels, l’image du chercheur qui comprend mal les besoins pratiques d'une entreprise est toujours très présente. De plus, le savoir-faire très technique nécessaire à l’application de ces méthodes statistiques – qui requière un apprentissage fastidieux –peut aussi décourager les entreprises. Mais pourquoi ce décalage?
«Lorsque nous avons commencé à travailler avec des chercheurs, il a semblé assez rapidement que nos deux mondes étaient difficilement compatibles», explique Yassine El Ouarzazi, Marketing Sciences Manager chez Mars Inc. «Les objectifs, les systèmes de récompense, et les modèles commerciaux sont totalement différents : la plupart des entreprises sont sous pression pour atteindre des objectifs à relativement court terme.
Elles sont plutôt impatientes et n'ont tout simplement pas le temps de développer les bons outils. »
« D'autre part, la première priorité d’un chercheur est que ses travaux soient publiés. Ce qui positionne clairement ses recherches sur le long terme.
Cela dit, lorsque des chercheurs soucieux de l'applicabilité de leur recherche travaillent en collaboration avec des entreprises qui sont un peu plus flexibles niveau timing, les résultats peuvent être très positifs, et ainsi combler les manques qui peuvent exister en la matière. »
« Une première étape importante pour arriver à faire collaborer le monde académique et celui de l’entreprise, c’est le dialogue. Bien que les attitudes commencent à changer, les échanges entre ces deux groupes sont encore trop peu nombreux aujourd’hui», ajoute Nicolas Glady, professeur de marketing et expert en analyse statistique des données à l’ESSEC Business School. « Bien sûr, leurs objectifs sont différents à plusieurs égards, mais je ne pense pas que ce soit une situation où un groupe possède des qualités que l'autre n’a pas. Je pense qu'il y a moyen de créer une meilleure collaboration, et ceci dans l’intérêt de chacun. »
Dans ce but, Nicolas Glady et Yassine El Ouarzazi, avec d'autres collègues, ont lancé BARI, un réseau professionnel gratuit et pluridisciplinaire qui réunit des chercheurs universitaires et des chercheurs du monde de l'entreprise. L'idée derrière cette initiative était de créer un terrain commun où ces deux groupes pourraient travailler ensemble sur des projets à des fins mutuellement bénéfiques. Cette initiative s'inscrit dans une tendance générale : les chercheurs sont de plus en plus conscients de l'importance de la pertinence pratique de leurs travaux, et les entreprises ressentent le besoin de se munir d’outils d’analyse fiables sur ces sujets.
Cette initiative a par exemple mené Nicolas Glady et Yassine El Ouarzazi à chercher des nouvelles façons de mesurer l'impact des campagnes marketing sur les réseaux sociaux en ligne.
Le défi : la distinction entre l'impact du marketing viral sur les réseaux sociaux et l'impact des autres outils marketing
« Les entreprises comme Mars Inc. ont des données auxquelles nous n'avons tout simplement pas accès en tant que chercheur», explique Nicolas Glady.
«Par exemple, ils possèdent des mesures, pour des milliers de ménages, concernant leur exposition à la publicité télévisée et en ligne. En particulier, sur les réseaux sociaux, ces entreprises enregistrent l’action des consommateurs, par exemples quand ils ont contribué à une conversation en ligne ou s’ils ont « liké » un commentaire… Et pour les mêmes ménages, l’entreprise sait ce que ces consommateurs ont acheté. Le défi pour Mars est alors de distinguer parmi ces éléments la véritable efficacité des campagnes marketing dites « virales » (quand les consommateurs parlent entre eux du produit) sur les réseaux sociaux. Ce sont des phénomènes très complexes, et une approche technique et rigoureuse est nécessaire pour mesurer ces effets avec précision. C'est là où la collaboration entre des chercheurs et des experts du privé a vraiment donné des résultats positifs. »
En bref, l'objectif de ce projet était d'examiner les contenus en lien avec les marques de Mars, générés par les consommateurs, et partagés sur les réseaux sociaux, afin de mesurer leur effet sur le comportement d'achat. Il s’agissait donc de mesurer précisément cet impact, indépendamment des autres moyens publicitaires.
L'équipe d'analystes de Mars a utilisé des données de consommation par ménage pour mesurer le rôle sur les achats de la publicité télévisée, de la publicité digitale et des messages sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, ces équipes travaillent à développer un modèle pour estimer la contribution individuelle de chaque type de publicité, et les synergies potentielles entre elles.
«De nombreuses entreprises décident d'investir dans du marketing sur les réseaux sociaux, sans la moindre idée de son efficacité réelle », ajoute Nicolas Glady. « Proposer un moyen fiable pour estimer l'impact de ce type marketing sur les achats, est une avancée majeure, et permet aux annonceurs de mieux adapter leur stratégie de communication, et de mieux répartir leurs ressources entre les différents moyens publicitaires. »
Une nouvelle approche pour favoriser la collaboration
La source du succès de cette collaboration est qu'elle se distingue de la relation traditionnelle de type consultant-client. Les deux parties travaillent ici vers un objectif mutuellement bénéfique. En termes pratiques, cela signifie que les données sont fournies par la société et les méthodologies sont proposées par l'équipe de chercheurs. Mais c'est aussi beaucoup plus que ça, et la pérennité de ce genre d’initiative dépendra de l'évolution des attitudes.
« Les données sont normalement très coûteuses pour un chercheur. Nous proposons des théories, mais pour les valider, nous devons les tester. Et pour cela, nous avons besoin de données réelles – d’où les avantages d’une telle collaboration », ajoute Nicolas Glady. « Mais il y a aussi de réels avantages pour les entreprises qui ont souvent du mal à différencier et à comprendre les avantages d’un outil d’analyse plutôt qu’un autre quand ils sont présentés dans un cadre commercial. »
« De plus, si un manager du privé lit un article sur une nouvelle approche, il est difficile pour lui d'évaluer la qualité de la démarche. Si vous n'êtes pas un expert en matière de prévision ou de modélisation, cela peut être difficile de comprendre sans avoir des connaissances approfondies sur la méthodologie. Ici, les intérêts des chercheurs et des managers convergent : là où un cabinet de conseil peut être suspecté de se concentrer principalement sur le chiffre d’affaire, les chercheurs veulent sincèrement développer des méthodologies et des outils les plus rigoureux possibles. L'entreprise à la garantie que les résultats seront clairement documentés puisque l’objectif principal de la recherche est de présenter ses conclusions à la plus grande audience possible. »
Les collaborations telles que celle-ci, vont-elles continuer à se développer ? Il n’y a pas de doute que de telles initiatives seront appelées à se multiplier à l’avenir, puisque le «Big Data» et le «Business Analytics» sont des sujets majeurs, et largement reconnus comme tels. Toutefois, ces sujets sont très techniques et complexes. Et bien que les entreprises multiplient les efforts pour trouver des solutions adaptées à leurs besoins, il est encore souvent difficile d’appliquer ces solutions en pratique. Pour le moment, le désir est là, mais, en réalité, seules quelques entreprises sont réellement en mesure d’avancer sur le sujet. Alors que les signes pointent vers une évolution lente des mentalités, pour le moment, de nombreux efforts restent encore à faire.
De nombreux chercheurs académiques font de l’analyse statistique de ces « Big Data » leur principal domaine de recherche, en développant des nouvelles méthodes de modélisation et de prévision du comportement des consommateurs.
De leur coté, les entreprises sont en demande d’outils d’analyse et de prospective de ces nouveaux moyens de consommations. Néanmoins, pour de nombreux professionnels, l’image du chercheur qui comprend mal les besoins pratiques d'une entreprise est toujours très présente. De plus, le savoir-faire très technique nécessaire à l’application de ces méthodes statistiques – qui requière un apprentissage fastidieux –peut aussi décourager les entreprises. Mais pourquoi ce décalage?
«Lorsque nous avons commencé à travailler avec des chercheurs, il a semblé assez rapidement que nos deux mondes étaient difficilement compatibles», explique Yassine El Ouarzazi, Marketing Sciences Manager chez Mars Inc. «Les objectifs, les systèmes de récompense, et les modèles commerciaux sont totalement différents : la plupart des entreprises sont sous pression pour atteindre des objectifs à relativement court terme.
Elles sont plutôt impatientes et n'ont tout simplement pas le temps de développer les bons outils. »
« D'autre part, la première priorité d’un chercheur est que ses travaux soient publiés. Ce qui positionne clairement ses recherches sur le long terme.
Cela dit, lorsque des chercheurs soucieux de l'applicabilité de leur recherche travaillent en collaboration avec des entreprises qui sont un peu plus flexibles niveau timing, les résultats peuvent être très positifs, et ainsi combler les manques qui peuvent exister en la matière. »
« Une première étape importante pour arriver à faire collaborer le monde académique et celui de l’entreprise, c’est le dialogue. Bien que les attitudes commencent à changer, les échanges entre ces deux groupes sont encore trop peu nombreux aujourd’hui», ajoute Nicolas Glady, professeur de marketing et expert en analyse statistique des données à l’ESSEC Business School. « Bien sûr, leurs objectifs sont différents à plusieurs égards, mais je ne pense pas que ce soit une situation où un groupe possède des qualités que l'autre n’a pas. Je pense qu'il y a moyen de créer une meilleure collaboration, et ceci dans l’intérêt de chacun. »
Dans ce but, Nicolas Glady et Yassine El Ouarzazi, avec d'autres collègues, ont lancé BARI, un réseau professionnel gratuit et pluridisciplinaire qui réunit des chercheurs universitaires et des chercheurs du monde de l'entreprise. L'idée derrière cette initiative était de créer un terrain commun où ces deux groupes pourraient travailler ensemble sur des projets à des fins mutuellement bénéfiques. Cette initiative s'inscrit dans une tendance générale : les chercheurs sont de plus en plus conscients de l'importance de la pertinence pratique de leurs travaux, et les entreprises ressentent le besoin de se munir d’outils d’analyse fiables sur ces sujets.
Cette initiative a par exemple mené Nicolas Glady et Yassine El Ouarzazi à chercher des nouvelles façons de mesurer l'impact des campagnes marketing sur les réseaux sociaux en ligne.
Le défi : la distinction entre l'impact du marketing viral sur les réseaux sociaux et l'impact des autres outils marketing
« Les entreprises comme Mars Inc. ont des données auxquelles nous n'avons tout simplement pas accès en tant que chercheur», explique Nicolas Glady.
«Par exemple, ils possèdent des mesures, pour des milliers de ménages, concernant leur exposition à la publicité télévisée et en ligne. En particulier, sur les réseaux sociaux, ces entreprises enregistrent l’action des consommateurs, par exemples quand ils ont contribué à une conversation en ligne ou s’ils ont « liké » un commentaire… Et pour les mêmes ménages, l’entreprise sait ce que ces consommateurs ont acheté. Le défi pour Mars est alors de distinguer parmi ces éléments la véritable efficacité des campagnes marketing dites « virales » (quand les consommateurs parlent entre eux du produit) sur les réseaux sociaux. Ce sont des phénomènes très complexes, et une approche technique et rigoureuse est nécessaire pour mesurer ces effets avec précision. C'est là où la collaboration entre des chercheurs et des experts du privé a vraiment donné des résultats positifs. »
En bref, l'objectif de ce projet était d'examiner les contenus en lien avec les marques de Mars, générés par les consommateurs, et partagés sur les réseaux sociaux, afin de mesurer leur effet sur le comportement d'achat. Il s’agissait donc de mesurer précisément cet impact, indépendamment des autres moyens publicitaires.
L'équipe d'analystes de Mars a utilisé des données de consommation par ménage pour mesurer le rôle sur les achats de la publicité télévisée, de la publicité digitale et des messages sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, ces équipes travaillent à développer un modèle pour estimer la contribution individuelle de chaque type de publicité, et les synergies potentielles entre elles.
«De nombreuses entreprises décident d'investir dans du marketing sur les réseaux sociaux, sans la moindre idée de son efficacité réelle », ajoute Nicolas Glady. « Proposer un moyen fiable pour estimer l'impact de ce type marketing sur les achats, est une avancée majeure, et permet aux annonceurs de mieux adapter leur stratégie de communication, et de mieux répartir leurs ressources entre les différents moyens publicitaires. »
Une nouvelle approche pour favoriser la collaboration
La source du succès de cette collaboration est qu'elle se distingue de la relation traditionnelle de type consultant-client. Les deux parties travaillent ici vers un objectif mutuellement bénéfique. En termes pratiques, cela signifie que les données sont fournies par la société et les méthodologies sont proposées par l'équipe de chercheurs. Mais c'est aussi beaucoup plus que ça, et la pérennité de ce genre d’initiative dépendra de l'évolution des attitudes.
« Les données sont normalement très coûteuses pour un chercheur. Nous proposons des théories, mais pour les valider, nous devons les tester. Et pour cela, nous avons besoin de données réelles – d’où les avantages d’une telle collaboration », ajoute Nicolas Glady. « Mais il y a aussi de réels avantages pour les entreprises qui ont souvent du mal à différencier et à comprendre les avantages d’un outil d’analyse plutôt qu’un autre quand ils sont présentés dans un cadre commercial. »
« De plus, si un manager du privé lit un article sur une nouvelle approche, il est difficile pour lui d'évaluer la qualité de la démarche. Si vous n'êtes pas un expert en matière de prévision ou de modélisation, cela peut être difficile de comprendre sans avoir des connaissances approfondies sur la méthodologie. Ici, les intérêts des chercheurs et des managers convergent : là où un cabinet de conseil peut être suspecté de se concentrer principalement sur le chiffre d’affaire, les chercheurs veulent sincèrement développer des méthodologies et des outils les plus rigoureux possibles. L'entreprise à la garantie que les résultats seront clairement documentés puisque l’objectif principal de la recherche est de présenter ses conclusions à la plus grande audience possible. »
Les collaborations telles que celle-ci, vont-elles continuer à se développer ? Il n’y a pas de doute que de telles initiatives seront appelées à se multiplier à l’avenir, puisque le «Big Data» et le «Business Analytics» sont des sujets majeurs, et largement reconnus comme tels. Toutefois, ces sujets sont très techniques et complexes. Et bien que les entreprises multiplient les efforts pour trouver des solutions adaptées à leurs besoins, il est encore souvent difficile d’appliquer ces solutions en pratique. Pour le moment, le désir est là, mais, en réalité, seules quelques entreprises sont réellement en mesure d’avancer sur le sujet. Alors que les signes pointent vers une évolution lente des mentalités, pour le moment, de nombreux efforts restent encore à faire.
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