mardi 16 avril 2013

Rapport sur l’innovation : Jean-Luc Beylat s’explique



A la suite de la publication du rapport sur l’innovation, Jean-Luc Beylat, co-président de la mission, nous a accordé un entretien dans lequel il défend et explique les partis-pris que nous avions sévèrement critiqués.
En premier lieu, saluons la réaction « sport » de M. Beylat. Après la publication de notre article assez vindicatif le 5 avril dernier sur la base de la première synthèse publiée, M. Beylat, plutôt que monter sur ses grands chevaux ou nous agonir de reproches, avait posté un commentaire ironique sur notre site dans lequel il nous félicitait pour le buzz et nous invitait à lire l’intégralité du rapport. Ce que nous avons fait dans les jours suivants avant de solliciter un entretien qu’il nous a rapidement accordé.
En premier lieu, nous lui demandons pourquoi la dernière recommandation portant le N°19, à savoir « Faire de l’innovation un vrai sujet politique en organisant un vaste débat public » ne figure pas en première place, d’autant qu’il est précisé au début du rapport qu’il faut commencer par la fin. « Nous en avons longuement débattu, en particulier avec Pierre Tambourin (NDLR co-président). C’est une bonne remarque. Toutefois, il faut comprendre l’exercice auquel nous nous sommes livrés. Il s’agit d’un rapport demandé par le gouvernement et notre souhait est qu’il soit utilisé, au moins en partie. Nous n’avons pas envie que le rapport finisse à la corbeille mais qu’il soit accaparé et utilisé et c’est pour cette raison que nous avons commencé par les propositions plus techniques avant d’ouvrir sur la nécessité d’un débat public et politique autour de ce sujet. Pour qu’il soit utilisé par le gouvernement, nous avons privilégié une approche progressive avant de finir de manière plus rugueuse».

Du Technocrate pour des technocrates

Nous lui demandons pourquoi le rapport est parfois si abscons dans ses formules, souvent incompréhensibles pour le commun des mortels. « C’est un rapport demandé à un groupe d’experts pour le gouvernement donc c’est très technique. Nous avons écrit en fonction des lecteurs et des outils en place ». Cela signifie que pour avoir une chance d’être entendu des technocrates, il convient de parler « le technocrate ». C’est pourquoi le rapport regorge de formulations étranges et pour le moins verbeuses. C’est le parti pris de MM. Beylat et Tambourin. Reste à savoir s’ils seront entendus. Nous lui objectons que le rapport ne va pas assez loin, qu’il fallait renverser la table. « Si vous réalisez un rapport trop en rupture, particulièrement lorsqu’il est commandé par le gouvernement, vous avez toutes les chances qu’il termine à la poubelle ». Il reste maintenant à savoir si cette stratégie de « l’eau tiède » sera couronnée de succès. « Je suis d’accord avec vous, nous verrons », concède M. Beylat.

Des redites et des nouveautés

Nous lui demandons pourquoi il n’a pas séparé les propositions anciennes, connues voire archi-connues comme la nécessité d’enseigner l’informatique dès le primaire des propositions plus nouvelles voire réellement innovantes comme le financement via une partie de l’assurance-vie. « Nous nous sommes posés la question à plusieurs reprises », indique M. Beylat. « Certes, plusieurs propositions ont été déjà été faites à plus de vingt reprises, mais si nous ne les répétons pas sur un document alors nous ne serions pas complets, exhaustifs. Aussi, nous avons choisi de repréciser certaines propositions sans revendiquer l’originalité. Cependant, il existe plusieurs sujets, notamment celle qui reprend une proposition de la députée Karine Bergé, où nous sommes très innovants. Si cela aboutit, cela fera une vraie différence. De même pour le projet de créer un Conseil National de l’Innovation ou encore nos propositions visant à décloisonner la recherche publique et privée ».
Nous lui demandons également pourquoi le rapport ne va pas plus loin dans la refonte des filières d’apprentissage, du point de vue économique et informatique car nous considérons qu’il n’y a pas ou peu de formations adaptées au monde dans lequel on vit ? « Si on creuse chaque sujet on peut aller plus loin. Nous ne voulions pas faire un rapport sur l’apprentissage de l’informatique mais le mentionner. Concernant l’attractivité des talents, il était possible de rajouter énormément de choses. Le rapport publié est public. Nous disposons d’une version beaucoup plus étoffée qui est à disposition du gouvernement ». Interrogé sur les sources de financement, M. Beylat réaffirme que le problème provient de la mauvaise répartition des fonds. « Ce n’est pas l’argent public qui manque mais il n’est pas comptabilisé proprement et il faut mieux suivre cet argent. Et mieux l’utiliser. Un défaut du système français est qu’il est très distribué. Aussi, on crée des bulles d’aide et elles ne sont pas mesurées correctement. Il y a trop de structures qui consomment l’argent public au détriment des cœurs de projet. Ce sont tous ces messages que nous essayons de faire passer car l’innovation aujourd’hui structure toute l’économie ».

L'opposition doit s'emparer du sujet

Sur le fond, nous ne changeons pas notre point de vue et continuons à considérer que le rapport ne va pas assez loin et ne renverse pas la table. En effet, il nous semble que ce problème de l’innovation recouvre un problème beaucoup plus global qui touche à l’organisation de l’Etat français, à son mille-feuille administratif, à la trop grande importance de la techno-structure au détriment du politique, au fonctionnement erratique de la décentralisation nuisant à l’efficacité et à la trop faible prise de conscience des décideurs publics quant au rôle fondamental de l’innovation et des technologies dans la France de demain. Cependant, le parti-pris de MM. Beylat et Tambourin est respectable : il est celui de la prudence et nous respectons leur choix en souhaitant qu’il s’avère payant ce dont nous doutons encore.
En parallèle, nous invitons les politiques, de la majorité comme de l’opposition, à s’emparer sans tarder de ce sujet et de soumettre à leur tour des propositions plus audacieuses. Si tel est le cas, au moins la recommandation 19 – dernière en chiffre mais première en importance - sera appliquée. C’est tout le mal que nous souhaitons

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