Alors que la France vient de découvrir le rapport Pisa (Programme
international pour le suivi des acquis des élèves) commandité par l’OCDE, le
Digital Society Forum se penche pour sa troisième édition sur les nouveaux
apprentissages.
Le 3 décembre 2013, une nouvelle table ronde a réuni autour de Stéphane
Richard, PDG d'Orange et Christine Albanel, Directrice Exécutive
Événements d’Orange, Partenariats culturels et institutionnels et Solidarité,
Dominique Cardon, sociologue Orange Lab - SENSE, Hubert Guillaud,
rédacteur en chef du site Internet Actu, Claudie Haigneré, scientifique,
spationaute et présidente d'Universcience, François Taddéi, biologiste,
directeur de centre de recherche interdisciplinaire de Paris, Marine
Plossu, créatrice de SensesSchool et Frédéric Bardeau, fondateur de
Simplon.co. Le débat, animée par Arnaud de Saint Simon, directeur du
groupe Psychologies, a porté sur trois thématiques : la plasticité cérébrale et
des effets supposés ou connus des TIC sur notre cerveau, les nouvelles
expériences qui redéfinissent le rôle du professeur et sa relation à l’élève
ainsi que les rapports entre les étudiants, et enfin, la redéfinition de
l’apprentissage grâce au numérique.En guise d’introduction, Dominique Cardon explique en quoi la thématique de l’éducation est un cas d’école lorsqu'on aborde le sujet de l’impact du numérique dans la société. En effet, on est en droit de se demander si les nouvelles technologies dites « éducatives » ont un réel impact sur les performances scolaires. Le constat actuel est que malgré plusieurs années d’efforts destinées à équiper les élèves en matériel informatique, les résultats se font toujours attendre. Si 95% des professeurs utilisent Internet pour préparer leurs cours, seuls 11 % l’utilisent dans leurs rapports avec les élèves. C’est donc la formation des professeurs au numérique qui peut changer l’activité pédagogique. L’usage de nouvelles technologies à l’extérieur de la salle de classe joue cependant un grand rôle dans l’autonomie et l’appropriation de l’information par les élèves.
Le sujet reste toutefois délicat car il oppose conservateurs nostalgiques et révolutionnaires zélés. Si l’on peut apprendre avec le numérique, ce dernier peut aussi distraire et déconcentrer. Le bon usage des NTIC dans le cadre de l’enseignement est donc toujours en débat et les questions sont nombreuses. Ainsi, le déport de notre mémoire sur le numérique nous fait nous demander s’il faut encore emmagasiner des connaissances ou bien utiliser le savoir qui est déjà accessible sur les réseaux. Ne faudrait-il pas mieux apprendre ses cours chez soi et travailler de façon collaborative en salle de classe ?
Les nouvelles compétences sont aussi à remettre en question. Faut-il évaluer la mémoire ou bien la capacité à poser des questions, à faire des recherches et à résoudre des problèmes de façon innovante ? Autant de questions qui remettent en cause la place de l’enseignant. Son rôle n’est plus vraiment de faire apprendre des programmes mais plutôt de permettre à ses élèves de démontrer leur propre intelligence et de dévoiler leurs capacités. Reste que cette nouvelle voie tracée par le numérique encourage un apprentissage de plus en plus individualisé. Chacun doit trouver sa voie selon une logique très libérale. Quelle peut être la place de l’enseignement institutionnalisé dans ce nouveau contexte ? Ne risque-t-on pas de créer de nouvelles inégalités entre les personnes diplômées et désireuses d’apprendre et les personnes moins favorisées ? Ou bien entre ceux qui connaissent le code informatique et les simples utilisateurs de l’informatique ?
Les questions sont posées…
La plasticité du cerveau face à l’apprentissage du numérique
Hubert GuillaudOn peut reprendre les questions que posait Nicolas Carr dans son dernier ouvrage, Internet rend-il bête ? : Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté , Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’études contradictoires […] On a de toute façon tendance à déléguer notre mémoire dans un tas d’objets techniques. Certaines études montrent aussi que l’on délègue aussi au niveau social : quand on veut se rappeler de l’anniversaire de sa femme, on utilise un petit code avec le reste de la famille par exemple ; on construit socialement notre mémoire.
Papiers versus écrans ?
Les neuroscientifiques comme Laurent Cohen ou Stanislas Dehaene précisent que pendant leur test, le support ne change absolument rien. La grande difficulté, c’est la connexion. L’univers du web est un petit peu plus compliqué à appréhender qu’une page de papier et il permet de se déporter ou de faire autre chose beaucoup plus facilement. Mais finalement, le manque de concentration n’est peut-être pas si mauvais que ça. On peut évoquer le test du chamallow réalisé sur des enfants : on les fait attendre dans une pièce pendant cinq minutes avec un chamallow et on leur promet une seconde friandise s’ils arrivent à ne pas le manger. En général, les enfants qui réussissent le test sont ceux qui se concentrent le moins possible sur le chamallow et les études ont montré que ces enfants avaient de meilleurs résultats scolaires.Ecriture cursive ou clavier ?
Dans les premiers stades de l’apprentissage, le geste et le corps sont bien sûr primordiaux dans l’apprentissage du langage même parfois pour des trucs qui n’ont rien à voir. Quand l’enfant se met debout, c’est le moment où il se met à formuler des phrases plus compliquées. En Chine, des enfants ont appris à taper directement sur un clavier sans apprendre à écrire au préalable et leurs résultats ont dégringolé très rapidement. La question reste ouverte, mais le geste, la fonction motrice de l’homme va avec sa pensée et son cerveau.François Taddéi
Ce qu’ont montré les bilans de l’OCDE c’est qu’en moyenne les enfants qui ont eu accès plus tôt que d’autres au web et au numérique ont plutôt de meilleurs résultats, mais que les écarts s’accroissent encore plus quand il y a des livres à la maison. Si vous avez une culture familiale qui vous apprend à gérer les masses d’informations, vous saurez plus facilement naviguer sur Internet et vous vous noierez moins dans un océan d’informations.
Les MOOC, leurs effets et leurs limites
Les universités ont une longue histoire car la dernière fois qu’elles ont fait l’objet d’une grande réforme c’était à la fin du siècle des Lumières. À cette époque, on voulait introduire trois libertés dans les universités : liberté d’apprendre, liberté d’enseigner et liberté de faire de la recherche. Il fallait que le professeur ne soit plus en situation d’enseignant mais de mentor et qu’il accompagne le projet des étudiants. Ce qu’on voit aujourd’hui c’est que cette triple liberté s’est réalisée dans très peu d’endroits. Le web en lui-même est un endroit où on a beaucoup de libertés mais où il est impossible de faire de la recherche ni de trouver un mentor. Et dans les universités il y a des mentors, il y a des potentiels humains mais il y a très peu d’occasions de donner de la liberté aux élèves. Donc on doit faire une nouvelle grande réforme, repenser complètement le système. Pour moi, cela va bien au-delà des MOOC. Il y a des choses que l’on trouve sur un campus que l’on ne trouve pas sur Internet. […] Les MOOC sont un produit d’appel qui apporte une vraie valeur ajoutée. Mais les études montrent que ceux qui n’ont pas les prérequis décrochent rapidement. Ceux qui réussissent dans ces cours en ligne ont déjà un diplôme universitaire. La grande force de ces cours en ligne réside dans les données qu’ils peuvent générer. On peut immédiatement voir combien d’élèves les suivent et à quel moment ils décrochent ou pas. Contrairement à un cours universitaire, les MOOC peuvent donc constamment s’améliorer.Marine Plossu
Pour qu’un MOOC soit efficace, il doit délivrer de la connaissance mais il doit aussi pouvoir être mis en pratique dans la vie réelle. Avant de monter SensesSchool, j’ai travaillé quatre mois comme bénévole dans l’association MakeSense et j’y ai plus appris qu’en trois ans d’école car on pouvait agir sur le terrain. L’engagement est aussi un atout important. On travaille mieux quand le travail a été choisi. Nos étudiants se lèvent à 6 heures du matin le samedi pour travailler dans un Fablab. Un MOOC ne sera jamais aussi formateur sur ce qu’on appelle les compétences molles, à savoir les capacités à chercher l’information, à se socialiser, à générer des liens empathiques ; ce sont des compétences qui s’acquièrent par des échanges humains, ou bien en résolvant des problèmes concrets.
Claudie Haigneré
Si les MOOC ont un énorme potentiel, il ne faut pas non plus oublier de réorganiser les lieux où l’on enseigne et notamment l’université. Chez Universciences nous avons installé un Fablab dans lequel les étudiants peuvent développer leur créativité en concevant un objet et en ayant la possibilité de le construire avec l’imprimante 3D. Le tout fonctionne beaucoup à travers des séries d’essais et d’erreurs. Je pense que ces lieux sont indispensables pour l’enseignement et que les MOOC seuls ne suffisent pas.
Le professeur a-t-il perdu le monopole du savoir ?
François TaddéiAujourd’hui on voit un retour à l’encouragement de l’esprit critique et au questionnement chez les élèves. Sur cette position, il me semble impossible à présent d’être conservateur. Je vois plus de gens qui ont envie d’innover mais qui sont prisonniers d’un système conservateur hérité du 19e siècle, avec trop de niveaux hiérarchiques. C’est simple : l’instruction publique a été copiée sur l’instruction militaire avec des inspecteurs généraux. Comment on passe d’un système vertical à un système horizontal. Si beaucoup de profs sont novateurs, ils sont aussi amoureux de leur vieux système. Ils doivent donc se remettre en question et l’évolution doit venir d’eux et non pas du haut de la hiérarchie.
Marine Plossu
Aux Etats-Unis il existe une plate-forme de crowdfunding qui regroupe des projets très innovants de professeurs à l’échelle de leur école, et ce sont les parents d’élèves qui décident ou pas de le financer. On n’aura jamais ça en France, mais cela montre bien que l’éducation n’est plus le monopole de quelques têtes qui veulent appliquer une stratégie descendante ; cela devient l’affaire de tous. Le numérique démocratise les systèmes d’apprentissage.
Comment apprend-on à l’heure du numérique ?
Claudie Haigneré
Un article de la revue Nature indiquait que l’on apprend 90% de notre savoir en dehors de l’école. Michel Serres quant à lui dit que notre mémoire a été déposée dans les ordinateurs et qu’il ne nous reste plus qu’à être intelligent. Je vois ces outils numériques qui peuvent permettre d’apprendre mais aussi d’être créatif et pourquoi pas d’avancer avec une nouvelle culture qui est celle de l’essai/erreur. C’est celle de l’innovation. On sent qu’elle existe, mais il faut la faire essaimer. Cela veut dire que l’on doit avoir le droit à l’expérimentation et que l’échec doit être vu comme une source de progression. Mais on doit accueillir ces expériences pleines d’incertitude en dehors de l’école, dans des lieux parallèles.
François Taddéi
Le numérique permet de créer mais ce n’est pas parfait à tous les coups. En revanche, avec la collaboration des autres, on peut perfectionner progressivement son travail. Le web est un espace de co création où tout le monde grimpe sur les épaules de ceux qui les précèdent.
À l’université, on demande aux étudiants de consulter les pages Wikipedia correspondant à leurs cours et d’améliorer ce qui peut l’être. Ils recoupent les informations entre la page anglaise, la page française et le cours. À la fin, ils produisent quelque chose qui est disponible pour l’intégralité de l’humanité.
Frédéric Bardeau
L’école a eu à un moment un rôle d’ascenseur social. Il l’a de moins en moins, on a une reproduction assez formelle des élites. C’est à nous de faire en sorte que le numérique ne tombe pas dans les mêmes travers et ne se ferme pas. Pour cela, l’apprentissage du code est indispensable. Le code ne doit pas être une langue cryptique réservée à des scribes qui auraient seuls le pouvoir de parler aux machines tandis que le reste de la population serait de simples utilisateurs. Tout le monde n’a pas vocation à faire du C à l’école primaire et à devenir développeur, mais en revanche, tout le monde doit savoir qu’il y a un langage pour parler aux machines et que l’on n’est pas des utilisateurs mais aussi des créateurs. À Simplon, on utilise le code comme un moyen de prendre le pouvoir sur les machines et sur sa carrière. C’est un outil de récupération du pouvoir d’agir. On tourne autour depuis le début mais il faut le dire il y a une capacité émancipatoire du numérique que l’on a perdu. Il faut faire de la politique et pas seulement de l’éducation. Les gens qui savent coder ont dans leur main un savoir pratiquement magique dans la société. Comparé à 42 (l’école de développeurs ouverte par Xavier Niel), on ne propose pas une formation d’ingénieurs sur trois ans ; nos formations sont courtes et durent six mois. Nous n’avons pas une logique industrielle et élitiste. Tout le monde ne sera pas développeur après Simplon, mais tout le monde aura récupéré du pouvoir.
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