Alain Cadix prend l'exemple du groupe français DBApparel, qui commercialise la marque Dim, pour montrer l'intérêt de placer un designer industriel à la tête d'une direction de la recherche et de l’innovation. Chargé de la Mission Design par les ministres du Redressement productif et de la Culture, ancien directeur de l'École nationale supérieure de création industrielle, il expose chaque semaine pour L'Usine Nouvelle sa vision des mutations de l'industrie par le prisme du design et de l'innovation.
Il est toujours intéressant d’observer
où se situe le design dans les fonctions de l’entreprise et quelles
responsabilités sont confiées à des designers en son sein.
Aujourd’hui, nous nous intéressons au
groupe DBApparel. Il est un des leaders européens dans le domaine des
sous-vêtements. Avec un chiffre d’affaires de 685 millions d'euros en 2012,
dont 60 % hors de France, il emploie près de 7 800 personnes. Il a son siège à
Paris et compte sept usines dans le monde (France, Allemagne,
Asie). Il a conforté à Autun, en Saône et Loire, berceau de la société, ses
centres d’excellence opérationnels (pilotage du développement, des achats,
industrialisation, production…).
UN DESIGNER
INDUSTRIEL À LA TÊTE DE LA DIRECTION DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION
Dans son portefeuille, on trouve,
outre la célèbre marque française Dim, née en 1956 (le "bas
Dimanche"), d’autres marques leaders dans d’autres pays européens comme
Nurdie en Allemagne, et des marques de renommées internationales comme Playtex
ou Wonderbra. Le groupe est également présent dans
le marché du sport avec la marque Shock Absorber née en Angleterre.
À la direction de la recherche et de
l’innovation (DRI) se trouve un designer industriel. C’est une originalité. Il
est rattaché au directeur exécutif des stratégies du groupe, et se situe au
même niveau hiérarchique que les directeurs du "retail &
e-commerce", de la communication, du marketing (le style étant rattaché au
marketing). Cette organisation date d’un peu moins de trois ans et produit ses
fruits après une période de fortes incertitudes pour l’entreprise.
Le métier de DRI n’est pas nouveau
dans le groupe, mais c’est la première fois qu’il est confié à un designer
industriel. Comment peut-on justifier un tel choix ? D’abord, c’est un
créateur. Et dans une entreprise qui a été fondée sur une création, une innovation
radicale (le bas sans couture), ce profil s’inscrit bien dans les gènes de la
maison, même si elle n’a pas encore retrouvé la culture novatrice forte qu’elle
avait à son origine.
LA RECHERCHE
N’EST PAS QUE TECHNOLOGIQUE, ELLE TOUCHE À LA SOCIOLOGIE OU L’ETHNOLOGIE
C’est en quelque sorte le défi central
du DRI. Ensuite, il vient d’une discipline, le design, qui se construit, et se
reconstruit sans cesse à la croisée de plusieurs champs disciplinaires ou
fonctionnels, technologiques, esthétiques, économiques, sociologiques, sur une
vision systémique, dans des démarches non-linéaires, souvent inductives, comme
s’élabore l’innovation elle-même. Enfin, un designer a, peut-être plus
que d’autres profils, des capacités d’empathie. Pour initier certaines recherches,
pour proposer des nouveautés qui bousculent les codes établis et pour les faire
accepter, il faut savoir se mettre à la place des interlocuteurs et comprendre
ce qu’ils ressentent. Un designer sait aussi donner à voir par des dessins et
des maquettes, c’est un atout pour convaincre.
Le DRI conduit la politique de
recherche et anime la politique d’innovation. Les deux sont liées. La recherche
ici n’est pas que technologique, elle s’inscrit aussi dans le champ des
sciences humaines comme la sociologie ou l’ethnologie. Elle s’associe également
à l’art et mobilise des artistes. Sur le volet innovation, on parle d’animation car
innover se fait dans un écosystème complet, multifonctionnel, matriciel, ouvert
sur l’extérieur de l’entreprise. A la contrainte classique de maîtrise des
coûts s’ajoute un objectif fixé par la direction générale de
l’entreprise : faire plus du tiers du chiffre d’affaires sur les nouveaux
produits.
Le groupe vient de lancer une nouvelle
gamme de soutiens-gorge qui intègre un textile actif, innovant, favorisant la
microcirculation du sang. La DRI s’est rendu compte que cette technologie, à
l’origine exploitée pour son "effet minceur", pouvait répondre
à d’autres fonctions – elle agit sur la fermeté de la peau, cela a été vérifié
cliniquement.
UNE MISE SUR
LE MARCHÉ PLUS RAPIDE DU PRODUIT
En analysant la technologie à travers
le prisme du design, la DRI a été en mesure d'identifier les opportunités
d’usage et de marché. À travers les méthodes du design importées dans cette
direction (plus d’expérimentations, avec du "do & learn",
plus de pratique, plus de maquettes), il y a eu une accélération du cycle de
développement, et la mise sur le marché a pu se faire en neuf mois.
Cette démarche de recherche et
d’innovation, pilotée par un designer industriel, est maintenant bien
implémentée dans l’entreprise. Comme elle est ouverte sur son environnement,
l’entreprise doit convaincre ses partenaires de travailler selon le même
schéma, avec une primauté donnée au design.
Il y a encore du chemin à parcourir,
mais cet effet d’entraînement paraît salutaire car il oriente différemment les
managers des entreprises partenaires et diffuse la démarche design,
indispensable au renouvellement de l’offre et à la compétitivité hors coûts.
Bien entendu, nommer DRI un designer industriel n’est pas une garantie absolue
contre tout échec. Elle est en revanche un gage pour les orientations de la
politique d’innovation et de recherche. Un exemple à suivre…
Alain Cadix, chargé de la Mission
Design auprès des ministères du Redressement productif et de la Culture, avec
le concours de Nicolas Petitjean, directeur de la recherche et de l’innovation
de DBApparel.
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