Start-up, chaînes, producteurs, géants de l'Internet et annonceurs rivalisent d'imagination pour tirer profit des applications permettant d'interagir avec une émission.
Pas moins de 150 conférenciers devraient défiler au TV
of Tomorrow Show, la grand-messe de la télévision américaine, qui se tient
aujourd'hui et demain à San Francisco. Quelques jours plus tard, près de
700 participants sont attendus aux Cross Video Days, organisés à La
Plaine-Saint-Denis, au nord de Paris : producteurs, chaînes de télévision
européennes, acteurs de l'Internet, annonceurs et start-up viendront y discuter,
comme à San Francisco, des complémentarités entre la télévision, Internet et les
smartphones.
Ce marché est en pleine ébullition des deux côtés de l'Atlantique. « Les études menées aux Etats-Unis ou en Europe révèlent que les téléspectateurs âgés de dix-huit à quarante-cinq ans, lorsqu'ils sont devant leur téléviseur, passent désormais un quart de leur temps sur un second écran : leur smartphone, leur tablette ou leur ordinateur portable », résume Anne-Marie Roussel, cofondatrice de Seespace, une start-up de San Francisco qui a mis au point un appareil permettant de superposer sur un écran de télé des informations en provenance d'Internet. « Plus besoin de second écran : nous ramenons les yeux des téléspectateurs vers la télé, et donc vers la publicité », poursuit-elle. Car là est le grand enjeu de la télé interactive. « 75 % des personnes font autre chose en regardant la télévision et, parmi elles, 50 % recherchent de l'information sur le programme qu'elles sont précisément en train de regarder », précise Valéry Gerfaud, directeur général de M6 Web.
Pour les chaînes, cela représente à la fois un risque
(voir l'engagement des téléspectateurs diminuer si elles ne font rien) et une
opportunité (augmenter cet engagement avec leurs propres applications). La
grande originalité de cette révolution technologique est qu'elle n'a pas été
imposée par les chaînes, les producteurs de télé ou les fabricants de
téléviseurs, mais par les téléspectateurs eux-mêmes. « L'enjeu n'est pas de
connecter les télévisions ou les émissions en soi : aujourd'hui, ce sont les
téléspectateurs qui sont de plus en plus connectés devant leurs écrans et notre
offre doit en tenir compte », explique Antonio Grigolini, directeur
programmes et social TV à France Télévisions Editions Numériques.
La demande est effectivement là. « Notre application MyTF1 pour tablette ou smartphone a été téléchargée 8 millions de fois, indique Olivier Abecassis, directeur général d'eTF1. Pour certaines émissions, comme "The Voice", nous approchons le million de visites par jour avec, en moyenne des sessions de 10 minutes. » Sur M6, le plus gros succès a été le quiz « Qu'est-ce que je sais vraiment ? », diffusé en mars et avril derniers et auquel l'application 6play permettait de jouer : de 400.000 à 500.000 joueurs, soit plus de 15 % des spectateurs de l'émission, sont restés connectés simultanément. « Le succès de l'interactivité est cependant subordonné à l'audience de l'émission sur le premier écran, relativise Alain Le Diberder, directeur des programmes d'Arte. Cela ne marche que pour les grands directs en première partie de soirée, comme les matchs de foot, les soirées électorales, les jeux et les talent shows, comme "The Voice" ou "La Nouvelle Star"… »
Le principal intérêt de l'interactivité, c'est qu'elle
permet de récupérer une grande quantité d'informations. Et ces dernières sont
plus riches que les simples résultats des votes par SMS pour tel ou tel
chanteur : désormais, on peut savoir quelle région ou quelle ville a le plus
répondu à telle question ; voire, quand les profils des utilisateurs contiennent
ces renseignements, faire des tris par sexe ou par classe d'âges. Ces données
viennent s'ajouter au contenu de l'émission, sous forme d'infographies affichées
en direct (les femmes ont mieux répondu que les hommes, par exemple). A
posteriori, leur analyse (quelles réponses ont été les plus difficiles à
trouver ?) servira à améliorer les émissions suivantes.
Décider du contenu d'une émission
Bien évidemment, ces renseignements intéressent aussi
les annonceurs. « Nous pouvons proposer, pendant la diffusion à la
télévision d'une publicité pour un livreur de pizzas, d'afficher sur
l'application de cette chaîne une offre promotionnelle pour ces mêmes pizzas :
le téléspectateur clique dessus et comme nous savons où il habite, grâce aux
données transmises par son téléphone ou son PC, il est mis directement en
relation avec le point de vente le plus proche », explique Dan Albritton,
cofondateur de Megaphone TV, une start-up new-yorkaise spécialisée dans les
solutions pour la télévision interactive.
Les revenus de la publicité interactive intéressent
beaucoup de monde. Le premier à tenter d'en profiter a été Twitter. Logique :
c'est sur ce réseau social que les internautes échangent le plus de commentaires
au cours d'une émission. L'offre Amplify de Twitter, disponible depuis un an,
permet à un annonceur dont la publicité passe à la télé d'envoyer simultanément
des tweets sponsorisés à des internautes choisis en fonction de leur affinité
avec cette émission. Les revenus sont partagés entre Twitter et le diffuseur.
Facebook n'est pas en
reste et a révélé, le 21 mai dernier, que son application pour mobile allait
écouter ce qui passe autour de nous pour tenter d'identifier quelle chanson nous
écoutons ou quel programme télé nous regardons. Officiellement, cela permettra
aux internautes de partager plus facilement leur musique ou leur émissions
favorites. Mais personne ne doute que Facebook utilisera ces informations pour
afficher des publicités ciblées. Des technologies similaires existent d'ailleurs
déjà dans les applications MyTF1 et 6Play. « Notre application a accès au
microphone du smartphone ou de la tablette et peut donc reconnaître le signal de
TF1 », révèle Olivier Abecassis.
Dernier service offert par l'interactivité : permettre
aux téléspectateurs de décider du contenu d'une émission. « En décembre
dernier, nous avons lancé la première "tweet série" à la française, "What Ze
Teuf", sur D8 : quinze épisodes de deux minutes dont le scénario était en partie
dicté par des tweets envoyés la veille au soir », indique Fabienne
Fourquet, directrice des nouveaux contenus sur Canal+.
En France, le CSA essaye bien sûr d'avoir
son mot à dire sur ces nouvelles formes de télévision… qui échappent en partie à
sa compétence. « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est compétent pour
toutes les données associées diffusées par voie hertzienne, rappelle
Emmanuel Gabla, membre du CSA. Pour le reste, en particulier les
applications disponibles sur ordiphones et tablettes en lien avec les émissions
des chaînes, nous voulons mobiliser les grands acteurs de l'Internet sur un mode
d'autorégulation. »
Lexique
Application compagnon : « C'est
une application interactive développée pour une émission spécifique, une chaîne
ou une marque », explique Pierre Matuchet, PDG de Milky, une agence de « social
media ».
Gamification : le fait d'ajouter une couche de jeu interactif, notamment via l'application compagnon.
Indexation : des sociétés comme Boxfish, aux Etats-Unis (pour le contenu détaillé des émissions), ou TVTY, en France (pour les publicités), indexent tout ce qui passe sur les chaînes de télé, afin de faire des recommandations aux téléspectateurs ou aux annonceurs.
Storytelling : la société américaine Social Samba a mis au point une plate-forme d'écriture automatique qui propose des échanges personnalisés sur Twitter avec les personnages d'une série télévisée.
Gamification : le fait d'ajouter une couche de jeu interactif, notamment via l'application compagnon.
Indexation : des sociétés comme Boxfish, aux Etats-Unis (pour le contenu détaillé des émissions), ou TVTY, en France (pour les publicités), indexent tout ce qui passe sur les chaînes de télé, afin de faire des recommandations aux téléspectateurs ou aux annonceurs.
Storytelling : la société américaine Social Samba a mis au point une plate-forme d'écriture automatique qui propose des échanges personnalisés sur Twitter avec les personnages d'une série télévisée.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/journal20140610/lec1_idees_et_debats/0203543233799-jusquou-ira-la-television-interactive-1010939.php?S0wyi3dIespIqTQD.99
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