Doit-on revenir à un marché des talents pour gagner en agilité ?
Trois tendances bousculent actuellement les grandes organisations: le volume de connaissances nouvelles connaît une croissance exponentielle, la vitesse à laquelle un produit ou un service devient obsolète est de plus en plus rapide, et enfin la transition numérique qui s’opère. Cela entraîne une accélération sans précédent, forçant les organisations à devenir de plus en plus agiles. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle espèce d’entreprise,
dynamique, ouverte et commando (orientée projet):
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dynamique car dans un environnement en évolution de plus en plus rapide, l’entreprise doit elle aussi être en mouvement. Sinon elle meurt. Les talents qu’elle mobilise ne font eux-mêmes que passer. Elle doit donc les former vite, tirer parti d’un marché de l’emploi de plus en plus fluide et investir dans la gestion et le développement des compétences d’un réseau mondial.
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ouverte par rapport aux talents qui la compose, car c’est la fin de l’emploi à plein temps et à vie. L’entreprise qui est en train de voir le jour est composée de plus en plus de freelance. Ouverte aussi car l’espace de travail lui-même est en cours de reconfiguration: travailler à distance ou dans des bureaux partagés (coworking) est de plus en plus commun. Enfin, ouverte dans le temps car avec les technologies numériques, et en particulier le smartphone, le lien est continu, la frontière entre vie professionnelle et vie privée s’efface, tout en permettant une flexibilité accrue en termes d’organisation.
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commando ou orientée projet. C’est le point clé de l’agilité : des projets qui fédèrent des talents complémentaires en interne, des « talents-entrepreneurs » issus de l’externe et d’autres types d’entités externes comme des start-up. Ces équipes commando sont à la croisée du design thinking, du lean start-up et des méthodes agiles.
L’ère des « slashers »
Pour les jeunes générations, le travail a déjà changé. Les « slashers » (en référence au « / » – slash en anglais) n’ont pas confiance en l’entreprise.
Ils ne comptent pas sur elle pour se former. Ils changent d’emploi tous les douze à dix-huit mois pour acquérir de nouvelles expériences, pour ajouter des lignes à leur CV et à leur profil LinkedIn. Ces jeunes talents organisent leur marketing comme s’ils étaient des produits. Ils ne sont plus ingénieurs télécoms ou chefs de projet. Ils sont développeur/designer/DJ ou bien consultant/magicien.
A l’ère de la génération X, l’entreprise décidait à qui donner un emploi, et en retour l’employé offrait subordination et exclusivité. Dans le monde de la génération Y, l’entreprise doit d’abord montrer ce qu’elle a à offrir, et le jeune talent en deviendra un collaborateur si un modèle gagnant-gagnant peut être trouvé. Dans celui de la génération Z, les jeunes talents ne sont plus intéressés par un contrat à vie. Ils vendent leurs compétences simultanément à de multiples entreprises, pendant la durée d’un projet donné.
Les outils numériques permettent de relier ces deux mondes. Côté B2B, les réseaux sociaux professionnels offrent, aux chasseurs de têtes, des outils pour identifier les talents qui ne sont pas en recherche active d’emploi. Côté B2C, ils mettent à la disposition des jeunes professionnels des outils qui vont leur permettre de construire leur carrière sur la base de ce que d’autres ont fait avant eux. LinkedIn, par exemple, a développé une solution qui permet de faire correspondre un besoin à un talent.
Mais que se passe-t-il si l’on pousse cette tendance à l’extrême? A l’avenir, les jeunes talents ne proposeront plus leur expertise en vue d’un emploi, mais le temps d’un projet de courte durée ou d’une mission de micro-consulting. Les réseaux sociaux professionnels ne disposent pas encore de l’infrastructure permettant de tels arrangements. En revanche, d’autres plateformes, telles que Maven ou Clarity, facilitent non seulement ce « matching », mais aussi la gestion de la relation entre l’entreprise en demande et la personne ayant les compétences requises.
Pour sûr, il y aura à court terme une convergence entre les réseaux sociaux professionnels et ces plateformes.
Une innovation synonyme de progrès ou de recul?
Les nouveaux outils numériques contribuent sans aucun doute à l’uberisation des métiers de l’entreprise. Ils vont permettre de rendre le travail plus fluide, plus souple… mais aussi plus précaire.
Nous sommes à l’aube d’une révolution. L’entreprise telle que nous la connaissons sera sans doute très différente demain. Parce que l’agilité devient critique, les organisations seront ouvertes, dynamiques et orientées projet. Les projets fédèreront des talents à la fois internes et externes. De plus en plus, les talents externes seront identifiés et gérés par le biais de places de marché numériques et ils mettront simultanément au service de plusieurs entreprises. L’une des conséquences possibles, toutefois, sera que
l’écart entre les personnes instruites et les autres s’accentuera encore davantage. En fonction des choix qui seront faits, l’innovation sera – ou non – synonyme de progrès.